Chroniques

par gérard corneloup

Claude
opéra de Thierry Escaich

Opéra national de Lyon
- 27 mars 2013
Claude, opéra de Thierry Escaich d'après Hugo sur un livret de Badinter
© bertrand stofleth

Non, il ne s’agit pas de Claude, empereur des Romains, pourtant né à Lugdunum – Lyon nos jours –, mais de Claude Gueux, homme du peuple que la misère pousse au crime, qui se retrouve en prison où il tue le gardien-chef à coups de hache ; il finit guillotiné en juin 1832.

Le jeune Victor Hugo, déjà tout occupé à combattre la prison et ses drames, en tire un bref roman, aujourd’hui complètement oublié. Mis en contact par Serge Dorny, directeur de l’Opéra national de Lyon, Robert Badinter – juriste, écrivain, avocat, qui lui-même a longtemps ferraillé contre la peine de mort et réussi à obtenir sa suppression en France, quand il fut Garde des sceaux aux côté du président Mitterrand – et Thierry Escaich – organiste, compositeur qui aborde aujourd’hui le théâtre lyrique pour la première fois de sa carrière – se sont attelés à tirer de ce drame un opéra présenté ce soir en création mondiale, dans une mise en scène confiée au volontiers « dérangeant » Olivier Py.

D’emblée, à l’écoute et au regard jeté sur cet ouvrage, une évidence s’impose : le travail créatif de ce trio d’artistes a débouché sur un amalgame parfaitement réussi où les trois composantes – le parler, le chanter et le montrer – sont mises en valeur, bien dosées, adroitement agencées, aucune ne phagocytant les autres mais en soulignant les forces directrices et les points forts. Une mercuriale contre la prison et l’enfermement, mais aussi un plaidoyer pour l’homme et pour la dignité humaine. Une seule réserve : l’audition point parfaite du texte de Badinter, visiblement atrophié par une acoustique castratrice, dans laquelle le chant semble absorbée par les cintres, sans arriver parfaitement jusqu’à la salle.

« J’entrais dans la cour. La guillotine était là », écrit Badinter dans son texte « L’Exécution » paru en 1973. Évidemment, elle n’est plus là, en 2013, mais la prison sécrète toujours ses poisons, ses tensions, ses vols et ses viols, et pose aujourd’hui maintes questions, comme la justice d’ailleurs. Le texte le dit, avec beaucoup (trop ?) de retenue et de pudeur, transposant l’action dans le monde de la soierie commerciale et lyonnaise du siècle industriel, avec l’exploitation de l’homme par l’homme, en l’occurrence le canut révolté et le soyeux mercantile. Mais il introduit une composante nouvelle : condamné à sept ans de prison à Clairvaux, Claude va y aimer un autre détenu, Albin. Difficile à vivre et à faire accepter dans un tel monde, entre les violences sexistes des autres prisonniers et les opinions anti-gay du personnel, directeur compris. N’y tenant plus, Claude tue ce dernier et monte à l’échafaud.

Pour accompagner, souligner, cristalliser, faire vivre, parler et souffrir ce drame, Thierry Escaich [lire notre entretien de mars 2012] a conçu une partition d’une vie intense, d’une densité rare, d’un foisonnement permanent. Son orchestre est expressif, narratif, riche et coloré. Les personnages sont remarquablement campés, avec leur mutisme, leurs idées, leurs faiblesses, leurs rudesses, dans ce monde brutal où Claude tente de survivre, où la plus subtile personnalité du jeune et bel Albin survient tel un oasis de fraicheur.

L’autre atout de cette production réside dans la force, la virilité, mais aussi la cruauté et la férocité du travail imaginé, construit et mené par Olivier Py. Le compositeur raconte, le metteur en scène montre. Un monde anonyme d’hommes enchainés, moralement encore plus que physiquement, où la répétition du geste imposé sert de lien social et vital, la journée durant, et où, le soir, les personnalités essaient de renaître et de s’exprimer dans des cellules exigües, à travers le décor en capsules empilées les unes au dessus des autres, imaginé par Pierre-André Weitz, bien souligné par les éclairages de Bertrand Killy.

Dernier atout, et non des moindres : les qualités musicales. À commencer par le baryton Jean-Sébastien Bou dans le rôle-titre, dont la présence frémissante de vie et d’inquiétudes mêlées n’a d’égal que la musicalité et l’expressivité du chant, en touchant décalage avec l’expression plus ductile, comme résignée, de son Albin bien aimé, interprété par le contre-ténor Rodrigo Ferreira. Les autres rôles sont tout aussi bien dessinés, tant vocalement que scéniquement, du Surveillant général de Laurent Alvaro, en passant par l’obstiné Directeur de Jean-Philippe Lafont, à l’aigu pourtant désormais un rien durci. Comme c’est généralement le cas dans cette maison, sous la direction attentive d’Alan Woodbridge, le Chœur allie musicalité et homogénéité, alors que le chef de fosse Jérémie Rhorer réussit à construire, assembler et défendre au mieux les diverses composantes d’une partition dense et expressive, dont l’orchestre détaille toutes les beautés – et elles sont légion !

GC