Chroniques

par bertrand bolognesi

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 13 juillet 2013
© wilfried hösl

Créé durant la saison 2011/2012, le nouveau Ring de Munich est repris in loco pour cet été du bicentenaire, à quelques semaines de la première fort attendue de celui de Bayreuth qu’y met en scène Frank Castorf (nous en reparlerons). Après le premier coup d’envoi qu’était son Orphée et Euridice (Glück) en 2006, la carrière de metteur en scène d’opéra d’Andreas Kriegenburg se poursuivit avec Idomeneo (Mozart), Otello (Verdi) et Tosca (Puccini), ce qui donne à penser que l’homme de théâtre et de recherche qu’il est prend le temps de réfléchir posément ses conceptions pour la scène lyrique. On ne s’étonnera pas qu’il se soit attelé dès le quatrième exercice à la Tétralogie, partant qu’il montait il y a neuf ans déjà Les Nibelungen du romantique Friedrich Hebbel (1862) : ainsi l’approche de l’extrapolation wagnérienne quasiment contemporaine put s’appuyer sur la fréquentation du poète.

Découvrir une production du Ring engage émotionnellement pour quatre soirées, au fil d’une analyse, d’un commentaire, d’une esthétique. Celle de Kriegenburg semble hésiter à la frontière d’une nouvelle façon d’aborder le cycle, sans renoncer à la « tradition » Regietheater et son intellection critique. Un symbolisme de bon aloi traverse le plateau, comme cette nudité sensuelle qui forme les flots du Rhin, édéniques. Une mer de plaisir, pour ne pas dire d’amour, cache en son sein une sorte de mascotte de lupanar : c’est l’or que capture le nain. La cohérence de cette lecture s’impose sans mal, faisant l’éloge de la sensualité (sinon de l’amour) que le monde retrouvera avec le retour de l’anneau dans le fleuve. Aux dieux d’apparaître aux abords d’un Walhalla qui se laisse supposer encore en chantier. La famille est directement identifiable par la chevelure blanche qu’arborent tous ses membres. Deux cubes bleuâtres où se devinent des corps humains aplatis incarnent les géants. Si fonctionne mal la représentation de l’affaiblissement des dieux privés de leur quotidienne pomme de jouvence, la crémation routinière des cadavres d’ouvriers morts d’épuisement à la mine renvoie inévitablement à l’histoire du XXe siècle, ce qui interroge et dérange fructueusement. Un coffre de lingots monte d’une trappe pour la dernière scène ; c’est là que s’engouffre Fafner après le fratricide.

Avec une distribution équilibrée et bien choisie, la Bayerische Staatsoper signe une belle soirée. Saluons des Rhein Töchter efficaces – Okka von der Damerau (Floßhilde), Angela Brower (Wellgunde) et Hanna-Elisabeth Müller (Woglinde) –, l’Erda onctueuse de Catherine Wyn-Rodgers, et la Freia généreusement projetée d’Aga Mikolaj. Le jeune baryton transylvain Levente Molnár, plusieurs fois signalé au lecteur [lire nos chroniques du 4 mai 2009 et du 14 avril 2011], campe un Donner robuste et fermement coloré. On retrouve également l’excellent Erik (Der fliegende Holländer) d’il y a cinq ans à Baden Baden [lire notre chronique du 20 janvier 2008] : de Sergueï Skorokhodov le timbre clair et l’élégance absolue de la ligne vocal livrent un Froh luxueux. Au Fasolt de fière autorité de Thorsten Grümbel, basse richement colorée et décidément wagnérienne [lire notre critique du CD Die Feen et notre chronique du récent Tannhäuser de Düsseldorf], répond le Fafner impératif et plus monolithique de Steven Humes. Sophie Koch chante désormais beaucoup le rôle de Fricka : elle s’y montre ici en bonne forme et irréprochable facture. Très impacté, Tomasz Konieczny donne un Alberich puissant quoiqu’un peu malmené par moments [lire notre chronique du 1er juin 2010]. Un peu terne dans les premiers pas, le Wotan du Danois Johan Reuter révèle progressivement un chant noblement mené. Enfin, LA rencontre de ce plateau vocal est assurément l’irrésistible Loge auquel Štefan Margita, qu’on entendit surtout dans les répertoires slaves, prête l’évidente insolence de son émission, la séduisante homogénéité de son timbre, un souffle « increvable » qui induit une souplesse proprement infernale.

À la tête du Bayerisches Staatsorchester, Kent Nagano porte haut l’exécution, apportant un soin jaloux à chaque détail de sa fosse tout en amorçant une lecture à long terme qu’il nous tarde de découvrir ces prochains jours.

BB