Chroniques

par bertrand bolognesi

George Enescu et Maurice Ravel
Patricia Kopatchinskaïa (violon) et Polina Leschenko (piano)

Salzburger Festspiele / Mozarteum, Salzbourg
- 19 août 2019
La violoniste Patricia Kopatchinskaja déçoit au Festival de Salzbourg 2019...
© marco borggreve

Se faire une joie de retrouver un artiste qu’on aime beaucoup peut, dans certains cas, entraîner une relative déception. On ne présente plus l’excellente violoniste moldave Patricia Kopatchinskaïa, la plupart du temps bien inspirée, quelques soient les répertoires abordés [lire nos chroniques du 13 novembre 2009, du 11 février 2017, des 18 août et 24 octobre 2018, ainsi que du CD paru chez Naïve]. Dans le cadre du focus Enescu proposé par l’édition 2019 du Salzburger Festspiele [lire notre chronique d’Œdipe], la soliste joue ce soir deux œuvres du Roumain, qu’elle met en regard avec la production ravélien des mêmes années. Installé à l’âge de quatorze ans à Paris où il perfectionne son art au conservatoire, Enescu confronte son héritage Mitteleuropa à la manière française, alors enseignée par Gabriel Fauré, entre autres. Dans cette auguste institution, il rencontre de nombreux musiciens, parmi lesquels Maurice Ravel : une franche amitié les liera bientôt.

La soirée est ouverte par une recueil de 1940, Impression d’enfance Op.28, une suite de dix pièces brèves créée le 22 février 1942 par Enescu lui-même et Dinu Lipatti au piano, à Bucarest, en pleine guerre, vécue sous le joug d’Ion Antonescu, Conducător d’extrême-droite et collaborateur zélé du IIIe Reich, pendant le court règne du jeune Michel Ier. Après un intriguant solo, Ménétrier, ces bribes d’antan convoquent le jeu très doux de Polina Leschenko, la pianiste rejoignant le violon à partir de Vieux mendiant. La délicatesse poétique de l’œuvre s’ensuit, après Ruisselet au fond du jardin, avec L’oiseau en cage et ses amorces imitatives quasi ornithologiques. Passée la simplicité touchante de Chanson pour bercer, à l’unisson, le Grillon gratte sa mandoline dessus le clavier. On goûte la sensualité douce de Lune à travers les vitres, les sifflements flous, en solo, de Vent dans la cheminée et la riche expressivité du piano pour Tempête au dehors, dans la nuit. Après les languissantes harmoniques du violon, sur le miroitement pianistique, qui évoquent encore quelque plumage chanteur, Lever de soleil déploie une aura lyrique exubérante.

À l’instar du compositeur roumain, Ravel contribua lui-même à la mise au monde publique de sa Sonate en sol majeur n°2, écrite entre 1922 et 1927 pour la violoniste Hélène Jourdan-Morhange : à la création du 30 mai 1927, Salle Érard à Paris, il tient la partie de piano et c’est précisément l’ami George qui joue le violon. Ici, la tendresse du piano ménage une climat mystérieux à l’Allegretto d’ouverture, le jeu de Patricia Kopatchinskaïa paraissant plutôt éteint. Le choix interprétatif d’une gracile précarité du son induit des colorations aquarellistes, très personnelles, autant que l’interminable rubato final. Si l’approche générale paraissait déjà assez décousue, on comprend avec le Moderato médian la démarche de la violoniste : en forçant la glissade du Blues et ses pizz’ mafflus, elle sort du concert dit classique et rend le mouvement au terreau qui l’inspira. En théorie, la chose n’a rien d’inintéressant… en théorie, oui. Encore résume-t-elle la sonate ravélienne à un bœuf folklorique, asséné à joyeux coups de talon. L’Allegro conclusif (Perpetuum mobile) demeure dans cette optique réductrice, loin des fascinants mécanismes chers au compositeur et de toute clarté.

Le retour d’entracte scelle le récital dans une alternative résolument ethnique. De fait, la Sonate en la mineur Op.25 n°2 d’Enescu, créée par le compositeur et le Nicolae Caravia, en janvier 1927 à Oradea, dans la transylvaine Crișana roumaine, concentre de nombreux habitus de la pratique musicale populaire. Le Moderato malinconico laisse admirer l’extrême souplesse de toucher de Polina Leschenko et sa faculté à inventer des timbres absents. Si l’opus invite la verve tzigane au concert, Patricia Kopatchinskaïa s’ingénie à transplanter le Mozarteum dans un village en forçant trop le trait, à notre goût. Rien ne va plus dans l’Andante central et la déconstruction se radicalise plus encore avec l’Allegro con brio. Si l’interprétation de la sonate impose des choix qu’il ne nous appartient certes pas d’ici discuter, celle de Tzigane de Ravel est définitivement hors propos, avec ses tautophonies superfétatoires et autres clins d’œil aguicheurs.

BB