Chroniques

par hervé könig

Giuseppe Verdi | Messa da requiem
Chœur de Radio France, Orchestre national de France, Jérémie Rhorer

Vannina Santoni, Alisa Kolosova, Jean-François Borras et Ildebrando d’Arcangelo
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 20 octobre 2016
En 1901, Giuseppe Verdi peint sur son lit de mort par Carlo Stragliati
© dr | carlo stragliati, 1901 – verdi sul letto di morte

Giuseppe Verdi a soixante ans lorsqu’il décide d’écrire une messe funèbre, suite à la disparition de son ami Alessandro Manzoni (1785-1873), poète, dramaturge et romancier déterminant pour l’histoire des lettres italiennes, mais aussi archétype de l’intellectuel engagé dans la vie politique, comme la péninsule en connut de nombreux par la suite. Le projet remonte en fait aux lendemains du 13 novembre 1868, c’est-à-dire au décès de Gioachino Rossini : à la mémoire de son aîné, Verdi avait échafaudé une messe dont plusieurs compositeurs italiens se seraient partagé les différentes séquences. Au delà du Libera me de sa main, l’affaire fut sans suite. Travaillant d’arrache-pied, le maître mène à bien son hommage et dirige, en l’Église Saint Marc de Milan, la création de sa Messa da requiem per l’anniversario della morte di Manzoni, le 22 mai 1874, soit un an jour pour jour après qu’ait rendu l’âme celui qu’il admirait tant. Le succès fut grand et gagna bientôt les capitales européennes, d’abord Vienne, puis Paris où le Requiem fut joué à l’Opéra Comique. D’un musicien dont le rapport à la religion fut assez problématique, ne nous étonnons pas qu’on donne la messe sous une voûte profane, comme c’est le cas aujourd’hui au Théâtre des Champs-Élysées.

Une surprise : c’est ici Jérémie Rhorer, bien connu pour ses interprétations du répertoire baroque tardif et des premiers classiques, à la tête de son Cercle de l’Harmonie [lire nos chroniques du 15 septembre 2012 et du 13 mars 2009], et en particulier les opéras de Mozart [lire notre critique du CD], qui conduit l’Orchestre national de France et le Chœur de Radio France, efficacement préparé par Alberto Malazzi. Quoiqu’un peu trop lent, l’Introit trouve des ailes à partir du Te decet hymnus, efficacement servi par les forces chorales, mais la reprise du Requiem aeternam s’appesantit. Le Kyrie survient, avec son défilé de solistes qui satisfont plus ou moins : le beau timbre clair du ténor Jean-François Borras peine à trouver sa place, Ildebrando d’Arcangelo, basse charismatique, accuse un coperto exagérément prudent, le soprano Vannina Santoni est couvert et pas toujours stable. En revanche, le jeune mezzo-soprano russe Alisa Kolosova, issu de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris et qu’on put applaudir sur notre première scène [lire nos chroniques du 3 avril 2015 et du 17 septembre 2010], s’impose dès lors comme LA voix de la soirée, par un phrasé généreux, la couleur enveloppante et la musicalité précise.

L’attaque du Dies irae laisse entendre des détails instrumentaux qui font apprécier l’indéniable expérience de Rhorer dans le domaine romantique [lire notre chronique du 3 juin 2016 et notre critique du CD Lodoïska, deux productions du Palazzetto Bru Zane]. Certes, l’articulation des parties de cuivres surprendra l’auditeur habitué aux versions de référence, mais replace justement l’écoute dans l’époque ; il lui est donc plutôt recommandé de se souvenir de la musique de Berlioz, par exemple, et des interprétations qu’en ont osé les Jos van Immerseel ou François-Frédéric Roth. On regrette le Mors stupebit peu audible de la basse, effacé par le mezzo, idéal dans un Liber scriptus prenant. Passons sur le laborieux Quid sum miser par un trio déséquilibré, pour sursauter au fracas d’un Rex tremendae caricatural. À partir de là, difficile d’adhérer à une lecture dont le dramatisme appuyé, parfois très bruyant, fait bon ménage avec des joliesses de salon, où la supplication latine se prononce entre deux macarons. Alisa Kolosova nous fait quitter ce goûter coquet avec des Recordare et Quaerens me recueillis, au belcantisme contenu. L’étirement affligé par le chef contraint néanmoins l’impact du passage. C’est du même virus que souffre un Ingemisco qui maltraite le ténor : pour soutenir ce tempo, il faudrait un autre format vocal. C’est dommage, car, bon chanteur, Jean-François Borras possède des qualités qu’une approche consciente des moyens mis en présence aurait pu faire ses atouts [lire notre chronique du 7 mai 2015]. Après un Confutatis détimbré dans le grave et matamore dans l’aigu – d’Arcangelo, avec des ports de voix pénibles –, le ralenti d’Oro supplex « téléphone » l’effet du retour tapageur du Dies irae. L’onctuosité du mezzo répare ce dommage au début du Lacrymosa – un bonheur qui ne dure pas, dès que le numéro réunit tous les exécutants pour conclure la séquence.

Au milieu de l’œuvre, il reste difficile de se faire une opinion sur le concert. L’ampleur de l’Offertoire situerait l’interprétation dans un sillage gothique, la subtilité des cordes dans la suite des raffinements baroqueux, la fluidité du Quam olim Abrahae (si l’on veut fait abstraction d’une basse parfaitement fausse dans l’Hostias) paraissant réconcilier ces contraires. La rigueur de la fugue du Sanctus rappelle ce mot d’un éminent confrère qui s’exprime dans les colonnes d’un quotidien faisant autorité : de Jérémie Rhorer il disait « c’est un bras ! »… Passé l’anecdotique Agnus Dei et un Lux æterna concluant, Vannina Santoni se révèle enfin dans un Libera me d’opéra qui lui va bien. Quant aux choix de Jérémie Rhorer, ils ne nous ont pas convaincus.

HK