Chroniques

par irma foletti

Hommage à Christiane Eda-Pierre par les Voix des Outre-mer
Clara Bellon, Fabrice di Falco, Marie-Laure Garnier, Axelle Saint-Cirel

Opéra Grand Avignon
- 11 avril 2023
Les Voix des Outre-mer fêtent Christiane Eda-Pierre à l'Opéra Grand Avignon
© dr

C’est à un concert-conférence que convie ce soir l’Opéra Grand Avignon, consacré au soprano Christiane Eda-Pierre (1932-2020). Surprise en arrivant au théâtre, le public est invité à s’installer sur la scène où une centaine de chaises sont disposées… avec vue imprenable sur la salle ! C’est donc dans une ambiance de salon que Richard Martet, directeur de la rédaction du mensuel Opéra Magazine, retrace la vie et la carrière de la chanteuse martiniquaise qui nous a quittés il y a trois ans. L’exposé est ponctué d’airs interprétés par les Voix des Outre-mer, soit les lauréats de ce concours lyrique visant à promouvoir les talents originaires des Outre-mer. Aléas du spectacle vivant, deux artistes programmés ont dû renoncer pour raisons de santé – Patrizia Ciofi, actuellement en répétitions ici-même en vue de la création, début mai, du nouvel opéra Three lunar seas, ainsi que le baryton Edwin Fardini.

Fille d’une professeure de musique, Christiane Eda-Pierre prend goût jeune à cet art et au chant mais, en l’absence de tout conservatoire à la Martinique, doit partir à Paris à l’âge de dix-huit ans. Elle y séjourne avec l’idée de se perfectionner au piano, pour ensuite revenir aux Antilles comme professeure. Mais elle pratique également le chant au conservatoire, et elle est très vite repérée… au point d’interpréter, à vingt-six ans, Leïla des Pêcheurs de perles (Bizet) à l’Opéra de Nice (1958), aux côtés du Zurga de Gabriel Bacquier, lui aussi à peu près débutant dans la carrière.

Les engagements s’enchaînent rapidement : Gabriel Dussurget l’appelle au Festival d’Aix-en-Provence en 1960 pour Papagena, puis, après le décès soudain de Mado Robin, elle devient la doublure de Mady Mesplé pour la nouvelle Lakmé montée par l’Opéra Comique. Deux airs sont interprétés ce soir pour illustrer l’opéra de Léo Delibes : la mort finale de l’héroïne, Tu m’as donné le plus doux rêve, par le soprano colorature Clara Bellon, rejointe ensuite par le mezzo Axelle Saint-Cirel pour le célèbre duo des fleurs, deux voix à la musicalité précise et bien appariées.

Autre grande étape dans le parcours de Christiane Eda-Pierre, Les contes d’Hoffmann dont Rolf Liebermann confiait en 1974 la mise en en scène au jeune Patrice Chéreau, pour l’Opéra de Paris. Alors que le soprano incarnait la colorature Olympia quelques années auparavant, c’est maintenant dans les habits d’Antonia que sa voix ample de soprano lyrique s’exprime le mieux. Plusieurs airs de l’opus d’Offenbach sont au programme, autour du piano sans failles de Kazuko Iwashima : d’abord Vois sous l’archet frémissant où Axelle Saint-Cirel incarne un Nicklausse élégant, à l’aigu épanoui, se changeant en Muse plus tard pour Des cendres de ton cœur, finale dont la partition a été redécouverte à la fin des années soixante. Clara Bellon revient aussi pour Les oiseaux dans la charmille, au mieux dans cet air très haut perché d’Olympia, de grande virtuosité.

Nouvelle étape, le rôle-titre d’Alcina de Händel, défendu à Aix à la fin des années soixante-dix. C’est ici le contre-ténor Fabrice di Falco, créateur des Voix des Outre-mer, qui chante Ah! Mio cor, en poussant sans doute ses moyens un peu au-delà de ce que la petite jauge de spectateurs pourrait attendre [lire nos chroniques d’Agrippina, La conférence des oiseaux, Les quatre jumelles, La métamorphose et Akhnaten]. Mozart n’est heureusement pas oublié, avec Voi che sapete où Axelle Saint-Cirel compose un charmant Cherubino, précis musicalement. Voilà qui, en effet, rappelle la grande mozartienne qu’était Eda-Pierre, avec les rôles particulièrement marquants de la Contessa (Le nozze di Figaro) et de Konstanze (Die Entführung aus dem Serail). À cet égard, l’ancien directeur de l’Opéra d’Avignon, Raymond Duffaut, témoigne qu’il avait invité le soprano aux débuts des années quatre-vingt dans ces emplois, ainsi qu’en Anna de Don Giovanni (et Antonia des Contes d’Hoffmann).

Il faut aussi rappeler certains moments majeurs, par exemple les participations aux deux créations mondiales en 1983 – Saint François d'Assise d’Olivier Messiaen et Erzsebet de Charles Chaynes –, ou encore Genoveva de Robert Schumann à Montpellier, en 1985. C’est à ce stade que Marie-Laure Garnier interprète trois Lieder tirés de Frauenliebe und Leben. Révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique classique 2021, le soprano né en Guyane fait entendre un timbre d’une richesse et d’une ampleur rares, sachant également soigner la qualité du texte et ses nuances [lire nos chroniques d’Ariane et Barbe-Bleue et Platée]. Genoveva est le dernier rôle scénique de Christiane Eda-Pierre ; elle arrête de se produire en public au début des années quatre-vingt-dix, pour se consacrer exclusivement à l’enseignement. Comme fil rouge de la soirée, Les contes d’Hoffmann reviennent en bis et sa Barcarolle interprétée par les quatre chanteurs autour de la pianiste.

IF