Chroniques

par katy oberlé

Idomeneo, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Maggio Musicale Fiorentino / Teatro Manzoni, Pistoia
- 30 avril 2017
reprise à Pistoia de l'Idomeneo (Mozart) viennois de Damiano Michieletto
© michele borzoni | terraproject contrasteo

Passées les brumes matinale de la Sérénissime, un grand ciel rend la route plus belle encore (mais existe-t-il des routes laides en Italie ? Je ne crois pas), la promenade du printemps se poursuit vers le sud, via Padoue et Rovigo. À mi-parcours, l’envie de retrouver Ferrare me fait quitter le chemin pour aller prendre un chocolat sur la place Savonarole, face au Château d’Este. Une petite demi-heure plus tard, retour sur le bitume ! Bologne contournée, les collines se dessinent vers Sasso Marconi. Grimpons les contreforts des Apennins pour gagner la Toscane par le Santuario della Madonna di Bocca di Rio, sublime dans la verdure. Florence est tout près, mais il faut bifurquer vers l’ouest, car c’est à Pistoia qu’a lieu la matinée lyrique.

Par son programme, cette représentation fait figure de halte dans le trajet que j’ai commencé jeudi. Après Don Carlo, Norma et Lucia [lire nos chroniques des 26, 27 et 29 avril 2017], c’est au classicisme que je sacrifierai l’après-midi et à mon cher Mozart ! La capitale italienne de la culture pour cette année accueille en effet l’Idomeneo de la nouvelle édition du Maggio Musicale Fiorentino. Diversement apprécié par mes collègues [lire nos chroniques de ses productions d’Il barbiere di Siviglia, de La bohème, de La scala di seta, enfin du Samson et Dalila de l’Opéra Bastille], Damiano Michieletto signait il y a quelques années la présente mise en scène au Theater an der Wien. Le festival l’importe à Pistoia pour quatre dates, ce qui est une bonne idée, compte tenu des proportions comparables du théâtre où elle vit le jour et de celui où elle renait.

Ne comptez pas sur Michieletto pour brosser la tragédie antique dans le sens du poil. En guise de Crête dévastée, une plage jonchée de chaussures, restes humain déposés sur la côte après un tsunami, une guerre maritime ou encore le naufrage d’un rafiot transportant des réfugiés clandestins – on ne sait pas. Le plan incliné est ensuite traversé par des hommes en guenilles, témoins ou victimes de la catastrophe, côtoyant matelas et valises sous des néons blafards. Le ton est donné. La caractérisation des rôles est sans concession. Électre est la plus étonnante : c’est une consommatrice stupide qui n’a d’aspirations que matérielles. Idamante est clairement un patron en conflit avec son père, Idoménée toujours en rogne. La princesse troyenne couche avec tout ce qui passe. Elle est enceinte jusqu’aux yeux, sans doute d’Idamante, d’ailleurs. Cette option d’abord curieuse est poussée plus loin, avec génie : en vidéo, on verra le fœtus en guise d’oracle de Neptune ; c’est le futur descendant du fils qui ordonne à son grand-père de laisser le trône à papa. Bien vu ! Des images-choc s’impriment, comme ces gens échoués ou encore le vin, métaphore du sang du sacrifice, répandu sur la nappe blanche du banquet. La proposition générale est plutôt intéressante, quoiqu’elle semble laisser le public de marbre.

Cette tiédeur provient probablement aussi du plateau vocal. Pas de souci avec la basse Chanyoung Lee en Voix de Neptune, encore moins avec l’efficace Mirko Guadagnini en Grand Prêtre [lire notre chronique du 18 décembre 2010 et notre critique DVD]. En revanche, Rachel Kelly peine dans la partie d’Idamante avec une intonation souvent instable. Idéal dans l’incarnation d’une Électre désagréable, le timbre assez rugueux de Carmela Remigio malmène tout de même trop la ligne mozartienne. Toutefois, trois artistes triomphent, à bon droit. Ekaterina Sadovnikova prête sa voix veloutée et un legato caressant à Ilia, jusqu’à la rendre émouvante. Leonardo Cortellazzi campe un Arbace fulgurant, avec une aisance admirable. On retrouve l’excellent Michael Shade [lire notre chronique du 16 août 2014] dans le rôle-titre : son chant est dignement expressif, sans brutaliser la musique au profit du théâtre. Bravo !

En fosse, les Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino bénéficient des lumières baroquisantes de Gianluca Capuano. Positivement soucieux de rendre à chaque œuvre ses couleurs originales [lire nos chroniques du 1er septembre 2012 et du 12 octobre 2016], le chef met ici en valeur la trame mélodique de Mozart sur un tissu ornemental non-envahissant. Surtout, il compense le relatif statisme de la scène par une lecture tendue, propre à soutenir l’argument. N’en déplaise à mes voisins de fauteuil, l’escapade toscane hors du répertoire italien est pour moi réussie, donc.

KO