Chroniques

par delphine roullier

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioacchino Rossini

Opéra de Nancy
- 15 mai 2005
l'Opéra de Nancy présente une nouvelle production du Barbiere di Siviglia
© ville de nancy

Si Rossini connut l’échec à la création de son Barbiere di Siviglia (1816) – sur le plateau, de petits drames imprévus choquèrent le public –, la première de cette nouvelle production nancéienne surprend de bonheur, sinon d'humour ! À en croire la stricte narration, cet opera buffa resterait dans les contraintes du genre : la fâcheuse cupidité des uns combat l'énergique sentiment amoureux des autres. Sans doute serait-ce faire peu de cas de la partition que de n'y entendre qu'une bouffonne histoire de mœurs sans en ressentir l'autonomie musicale qui soutient fortement, à la rendre plus efficace et subtile encore, la sensuelle expressivité de l'opéra. Aussi, sans délaisser l'enjeu social qui se trame sous cette intrigue, la dramaturgie explore-t-elle, avec une efficacité et un sens du naturel hors du commun, ce délicieux ouvrage qu’elle fait voler de ses propres ailes.

La mise en scène de François de Carpentries s’ouvre sur l'apparition d'un austère bâtiment circulaire. À mesure qu'elle pivote et se transforme, cette quasi-forteresse déploie bientôt de nombreuses facettes. On y aperçoit la chambre satin- blanc d'une enfant espiègle, auréolée de parfums de captivité. Des papillons fixés au mur, comme par la main d’un entomologiste, sont de véritables bijoux sous verres ; sans doute animent-ils les songes de la jeune fille (futur papillon, mais déjà fleur) dans des secousses fantasmées d'envol et de liberté. La chambre de Rosine est cet espace ambiguë de la féerie enfantine qui fait naître les rêves les plus absolus portant en eux-mêmes le germe de leur chute. Car vouloir s'extraire de cet espace tient du paradoxe : s’il s’agit bien de s'extirper des griffes de Bartolo, le tuteur qui veut l'épouser, encore est-ce renoncer à l'éphémère candeur d'un monde plein d'espoir pour atteindre les contrées inconnues de celui des grands. Et si le silencieux pantin qui gît discrètement sur le plateau pendant le premier acte est le support des projections fantasmatiques de Rosine, encore tente-t-il courageusement de se dégager des cordes qui le malmènent pour gagner de la hauteur. Dans ce parcours, il rappelle à l'enfant (et à nous aussi) que le rêve ne se capture qu'un instant – et encore ! Il va falloir accepter de composer avec la réalité…. Le dur passage du principe de plaisir au principe de réalité est le prix de la liberté. Peut-on dès lors envisager que la plus sévère des réalités soit celle qui se dresse, une fois l'acte final achevé, derrière le rideau ? Auparavant, la fleur et le papillon seront conjugués par un bouquet final où les insectes diurnes s'envolent par la nuit noire.

Outre ce monde féerique qui appartient à Rosine, une souple atmosphère burlesque se destine aux autres personnages. Ainsi la folle machine à raser du barbier, digne d'une drôle aventure « kusturikaine » – elle possède les ressorts drolatiques de la torture, à la fois imaginatifs et utilitaires. À Bartolo ce siège itinérant parvient même à faire vivre quelques effluves de calvaire, sous le ton dérisoire et pieux d'un ex-voto exécuté pour d'affreux commanditaires ornant le clinquant appareillage. La scène entière est jonchée de minutieux et judicieux détails qui rythment avec justesse la représentation. Retenons que la magie du dispositif opère, et d'autant plus quand elle s'allie à une belle distribution.

La brillante prestation de Nigel Smith en Figaro éblouit le plateau. D'un naturel confondant, il conduit sa ligne vocale avec grande aisance et une souplesse remarquable. Il révèle un vrai talent de comédien. En Rosine, Tuva Semmingsen manie sa voix avec légèreté et vitalité. Elle donne au personnage une heureuse présence. John Lundgren use d'un timbre attachant, tout en offrant à son Bartolo l'envergure attendue. En revanche, l’Almaviva de Sébastien Droy a besoin d'un petit échauffement avant d'être convainquant. Carlo Lepore donne un Basilio réussi et Georgia Ellis Filice une Berta sympathique.

Dirigé avec brio par Paolo Olmi, l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy livre sa partie dans une saine vitalité, au service d’une lecture sensible.

DR