Chroniques

par bertrand bolognesi

Jenůfa
opéra de Leoš Janáček

Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 18 février 2005
Jenůfa, opéra de Leoš Janáček, à l'Opéra Royal de Wallonie (Liège)
© opéra royal de wallonie

Présentée une première fois en 1999, cette coproduction de l'Opéra Royal de Wallonie et de l'Opéra national de Montpellier est reprise à Liège pour une nouvelle série de cinq représentations. La mise en scène de Friedrich Meyer-Oertel s'appuye sur un réel travail de direction d'acteurs, dans un espace intelligemment pensé qui évoque le monde rural de Jenůfa, premier grand succès de Leoš Janáčeken 1904. Les décors et costumes d’Heidrun Schmelzer portent aisément l’imagination jusqu'au cadre étouffant du drame.

Ainsi le rideau s'ouvre-t-il sur un horizon de champs de blé formant basses collines et mamelons, un dispositif qui soutient toute la représentation. Le toit descend pour l'acte central ; il oppresse l'héroïne dans le grenier qui lui servit de cachette pendant sa grossesse. Ce lieu se fait le théâtre du rapt du nourrisson bientôt confié aux soins impuissants des fées de l'hiver qui, à leur heure, désignent l'infanticide. Scène de noces brutalement compromise par les consternantes révélations qui retournent ce qu'il est habituel d'appeler la morale pour porter la vie, la mort et l'amour, bien au delà du social et de l'humain, le troisième volet de l'opéra plante la table du banquet villageois dans les moissons. Cette omniprésence de la parcelle souligne la puissance de la terre, une puissance à laquelle la Kostelnika n'échappe pas.

Cette terre qui soutient hommes, bêtes et forêts s'avère calme dans la direction assez sobre de Friedrich Pleyer qui, à la tête d'un Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie en pleine forme, en décline les ostinati dans une régularité sournoise offrant de beaux appuis à la tourmente. Car dès l'abord, les personnages ne vivent rien de simple.

C'est ce que l'excellent Laca de Gary Rideout illustre d'une manière particulièrement probante. Non seulement on applaudit une technique irréprochable au service d'un grand art de la nuance, mais la présence dramatique et la construction d'un personnage maladroit, un peu frustre, attendrissant et aussi pervers que peut l'être la globalité de la situation, retient l’attention. De même le public frémit-il sans broncher pendant le monologue de Martine Surais, Kostelnika puissamment sonore dont l'expressivité est à son comble avant d'emporter dans les glaces le fruit du péché.

Dans l'ensemble, malgré un Števapeu concluant, la distribution est plutôt heureuse. On y remarque le pétillant Jano deSophie Haudebourg, Mady Urbain qui propose une Starenka d'une chaleureuse humanité, tant par le jeu que par la couleur d'un timbre riche que cette artiste utilise avec une maîtrise admirable, et on y retrouve la Jenůfad’Helena Kaupova, entendue il y a déjà quelques années à Prague. Ayant su garder la fraîcheur de sa voix tout en développant une musicalité plus affirmée, le soprano tchèque livre un chant toujours bien mené qui prime sur une théâtralité parfois maladroite. Remercions les artistes des Chœurs maison de leur prestation fiable et d’un jeu qui dépasse les habituelles et rudimentaires occupations d'espace.

BB