Chroniques

par michel slama

La damnation de Faust
légende dramatique d’Hector Berlioz

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 2 juin 2004
La damnation de Faust (Berlioz) à l'Opéra Bastille
© éric mahoudeau

Troisième reprise d'une des productions les plus intéressantes de l'ère Gall à l'Opéra national de Paris, cette Damnation aura, comme toujours, partisans et détracteurs. « J'ai dans la tête, depuis longtemps une symphonie descriptive de Faust qui fermente… » disait le compositeur. Paradoxalement, l'opéra de Berlioz le plus représenté est le seul qui ne fut pas conçu comme un opéra. Cette Légende dramatique en quatre parties pour salle de concert a toujours eu du mal à trouver une réalisation scénique pleinement satisfaisante. Un défi qu'a voulu relever le metteur en scène Robert Lepage. Si le spectateur peut se trouver dérouté par sa recherche forcenée d'effets et de trouvailles scéniques, il n'en reste pas moins que cette œuvre peu théâtrale et sur laquelle règne une réputation d'ennui est restituée de façon spectaculaire et particulièrement attractive.

Avant même que se fasse entendre la première note, le ton est donné : l'un des funambules, omniprésents dans la plupart des scènes, déguisé en vieux Docteur Faust, descend l'escalier d'une bibliothèque gigantesque. Dès que débute l'ouverture, un grand livre – qui n'est autre que la partition autographe de l'œuvre – est « rétroprojeté » sur un décor vertical de charpente métallique composée de quatre niveaux qui masque la totalité de l'espace scénique tout en offrant une promenade suffisante pour le déplacement des personnages. Ce procédé permettra au metteur en scène de coller à l'action, à travers une multitude de diapositives et de films, sans pour autant changer de décor physique. De plus, l'utilisation d'un nombre important de danseurs et acrobates, habilement mêlés au chœur, anime et rythme les dix tableaux. Ainsi, des jeunes filles séraphiques, toutes vêtues de voile blanc, soufflent-elles sur les pages du livre qui dévoilent au spectateur différents paysages. Un peu plus tard, la scénographie laisse apparaître, en fonction des tableaux, une auberge, la salle de lecture d'une bibliothèque publique, les vitraux d'une église, la maison de Marguerite, etc. Les acrobates s'inscrivent dans ces décors qu'ils occupent d’inoubliable façon : christs, soldats, cavaliers ou diablotins, ils font partie intégrante de l'action. De manière systématique, Lepage invite donc à une illustration permanente du livret, ce qui finit par agacer les plus grincheux et réjouit ceux qui en apprécient le kaléidoscope d'effets spéciaux.

Côté chanteurs, louons, tout d'abord, la parfaite diction de nos trois stars américaines. En tête, Paul Groves – habitué des opéras français, depuis ses mémorables Alceste de Gluck et Béatrice et Bénédicte de Berlioz au Châtelet – est exceptionnel : rappelons que la tessiture de ce Faust est exigeante en ce qu’elle réclame à la fois vaillance et légèreté, ce que le ténor dose et maîtrise à la perfection. À peine vers la fin de l'œuvre ressent-on une légère fatigue vocale de l'interprète qui porte à lui seul cette Damnation à son sommet.

On retrouve avec bonheur Jennifer Larmore, adulée du public parisien depuis ses Giulio Cesare, Cenerentola et autres opéras dans lesquels elle triomphait à Garnier. Déjà interprète du rôle dans la dernière reprise, le mezzo-soprano américain est un exemple de diction et d'humanité ; sa voix au timbre chaud et expressif compose une Marguerite moderne idéale. On ne peut pas – hélas ! – en dire autant du grand Samuel Ramey qui, malgré une prestance et un jeu de scène remarquables, est vocalement l'ombre de lui-même. La grande musicalité du chanteur-vedette des années Liebermann, alors favori de Karajan, est désormais entachée d'un vibrato disqualifiant ses interventions.

À la tête d'un Orchestre et des Chœurs de l'Opéra national de Paris irréprochables, Mark Elder revisite la partition de façon à la fois passionnée et théâtrale, faisant sonner l'Enfer, avec sa vertigineuse course à l'abîme, d'un dramatisme et d'une puissance rarement rencontrés.

MS