Chroniques

par laurent bergnach

Le monstre du labyrinthe
opéra participatif de Jonathan Dove

Philharmonie, Paris
- 28 juin 2018
Quentin Hindley joue Le monstre du labyrinthe (2015), opéra de Dove
© william beaucardet | philharmonie de paris

Commande des Berliner Philharmoniker (création le 30 juin 2015), London Symphony Orchestra (5 juillet 2015) et Festival d’Aix-en-Provence (8 juillet 2015), The monster in the maze a rencontré un grand succès critique, au point que certains médias se sont empressés d’annoncer sa création parisienne, comme s’il s’agissait de l’opéra de la décennie. Or il n’en est rien, et la lecture de ces avant-papiers – on ne nous y reprendra plus – a surtout accentué, par leurs éloges complaisants, la déception lors du spectacle… et notre sévérité à en rendre compte.

Tout d’abord, sans même les atouts d’une bonne comédie musicale, la musique n’a rien d’excitant. Habitué à écrire pour de grandes salles comme pour l’église et la télévision (à l’instar de son compatriote Britten), Jonathan Dove (né en 1959) possède à son catalogue près d’une trentaine d’œuvres lyriques, conçues en moins de deux décennies. Difficile d’imaginer le compositeur ne pas recourir à diverses recettes et astuces pour rendre sa copie en temps et en heure. Traditionnellement, sinon logiquement, la complexité, voire la qualité, en fait les frais. D’ailleurs, s’agissant d’un community opera (opéra participatif), le créateur doit permettre à des choristes amateurs de s’exprimer au mieux. En ce qui concerne les élèves musiciens, il reconnait leur proposer en priorité les parties graves, « souvent plus faciles ». Aujourd’hui, plusieurs étudiants de conservatoires lillois et franciliens grossissent les rangs de l’Orchestre de chambre de Paris, conduit par Quentin Hindley. Avec un cachet antique, les percussions installent un climat de danger (cloches tubes, timbales, etc.) tandis que les cuivres indiquent tantôt l’inquiétude, tantôt la victoire.

Évoquant en filigrane l’actualité sociale (migration, esclavage, etc.), Marie-Ève Signeyrole n’évacue pas la violence de la première partie de sa mise en scène : un enfant est mis à mort et d’autres arrachées à leurs mères par la cruauté des hommes. Un procédé ingénieux adoucit le premier événement quand la caméra de Matthieu Maurice plonge ensuite au cœur du drame, projetant des visages affolés sur l’écran en fond de scène. Puis survient la gifle d’Éthra à son fils, bien décidé à resplendir en Crète, qui fait basculer la tragédie dans le drame bourgeois. Le voyage vers la mort est rendu par un film où quelques adolescents en bateau pneumatique semblent s’amuser, puis par un interminable ballet de balais (!) qui débarrasse la scène d’une armada de navires en papier. Bon enfant, la séance de pliage avec le public s’avère un prélude inutile à la découverte du labyrinthe. L’idée de transformer chaque jeune choriste-esclave en pierre mouvante rend bien l’égarement qu’il provoque.

Arrive enfin le combat tant attendu, via un film d’animation, qui signale le mépris de Signeyrole pour le mythe de Thésée et pour le public. Qu’elle souhaite rendre hommage ou dénoncer une culture populaire qui sanctifie la testostérone liée au chaos – poing, pelle ou dynamite sont ici les armes du héros grec –, cela se respecte ; en revanche, on ne peut pardonner d’être privé de Minotaure. Si l’artiste répugnait à montrer une créature entre deux espèces, elle pouvait au moins adopter le plan suggestif et l’affaire était faite – Jonathan Lambert, alias le réalisateur Mathieu Stannis, y recours dans l’étonnant Kim Kong. Tout plutôt que ce taureau en origami, rigide et ridicule, qui évacue l’essentielle question de l’hybridation, traitée d’une façon bien plus mature par Stephen Langridge pour l’opéra d’Harrison Birtwistle [lire notre critique du DVD The Minotaur]. Et que dire de cette funèbre galerie de portraits qui clôt la production, à l’heure des retrouvailles ? Engage-t-on Boltanski pour faire des photos de mariage ?

Trois solistes sont au rendez-vous. Damien Bigourdan (Thésée) est un ténor vaillant, à l’aigu parfois tendu. Plus confidentielle, Pauline Sabatier (La Mère) n’a pas toujours la stabilité nécessaire. On retrouve chez Damien Pass (Dédale) une souplesse et une sonorité habituelles. Issus de différentes formations (Chorale de la Cité internationale, Conservatoire Gustave Charpentier, Les Petits Polysons, etc.), des dizaines d’enfants, d’adolescents et d’adultes servent avec nuance les différentes révoltes et jérémiades de l’ouvrage, supervisés par Frédéric Pineau, chef de chœur principal. Enfin, saluons le poignant Miloud Khetib (Minos), comédien qui informe au mieux de la situation de départ, ainsi que sa petite « assistante » à la diction également efficace.

LB