Chroniques

par laurent bergnach

Les Percussions de Strasbourg
Gérard Grisey | Le Noir de l’Étoile

Musica / Aula du Palais Universitaire, Strasbourg
- 22 septembre 2011
supernova
© dr

Avec quelques semaines d’avance, Musica fête le demi-siècle des Percussions de Strasbourg, formation emblématique de la création musicale européenne apparue sous le nom de « Groupe Instrumental à percussion » (17 janvier 1962), à l’initiative de six musiciens de l’Orchestre Municipal et de celui de l’ORTF – Bernard Balet, Jean Batigne, Lucien Droeller, Jean-Paul Finkbeiner, Claude Ricou et Georges Van Gucht. Comme l’exprimait Boulez en 1963 – dont Le Visage nuptial servit de déclic aux membres fondateurs –, « le groupe a rendu nécessaire le répertoire », si bien qu’aujourd’hui encore, il poursuit la collaboration avec de jeunes compositeurs tout en (ré)interprétant l’héritage des aînés. Joué ce soir, Le Noir de l’Étoile entre paradoxalement dans ces deux catégories.

En 1985, Gérard Grisey n’a pas quarante ans lorsqu’il rencontre, à l’Université de Berkeley où il enseigne, l’astronome et cosmologue Joe Silk. Ce dernier lui fait découvrir le son des pulsars, ces pulsations électromagnétiques reçues par un radiotélescope, puis facilement transformées en signaux sonores. Comme le résume l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet – dont le comédien André Pomarat lit ce soir le texte original en amont de la partition –, « les étoiles usées d’avoir trop brillé explosent en supernovae […], tandis que leur cœur s’effondre sur lui-même pour former des résidus fantastiquement concentrés, tournant sur eux-mêmes à une vitesse folle ». Ces toupies célestes qui craquent et cliquettent séduisent le chantre du mouvement spectral qui se demande alors quoi en faire.

« La réponse vient lentement : les intégrer dans une œuvre musicale sans les manipuler, les laisser exister simplement comme des points de repère au sein d’une musique qui serait en quelque sorte l’écrin ou la scène, enfin utiliser leurs fréquences comme tempi et développer les idées de rotation, de périodicité, de ralentissement, d’accélération et de « glitches » [1] que l’étude des pulsars suggère aux astronomes. La percussion s’imposait parce que comme les pulsars, elle est primordiale et implacable, et comme eux cerne et mesure le temps, non sans austérité. »

Réduit aux peaux et aux métaux à l’exclusion des claviers, l’instrumentarium sert une œuvre composée en 1989-90 et créée le 16 mars 1991, à Bruxelles, dans le cadre du festival Ars Musica. Vingt ans plus tard, placé sous la direction artistique de Jean-Paul Bernard, le sextuor strasbourgeois entoure le public de sa ville natale et mêle une heure durant, dans la pénombre, les moments furieux (staccatos boisés) à d’autres plus diffus (mains sur les peaux), presque soupirés, tout en découvrant un nouvel espace sonore avant la fin (archer sifflant, polystyrène frotté, maracas, etc.). Magique mais trop contraignante, l’intervention initiale des Pulsar de Vega et Pulsar 0359+54 – prévue en direct, à une date précise – se fait désormais à l’aide d’une bande-son. Elle n’en reste pas moins fascinante et vertigineuse.

Sous-titré Les artisans du sons, un film-portrait d’Eric Darmon introduit la soirée. Dans la lignée de documentaires sur Philipp Glass ou Pierre Henry [lire notre critique du DVD], l’ethnologue de formation approche les membres successifs de la formation alsacienne, entre témoignages et répétitions (Cohn, Messiaen et Xenakis autrefois ; Giraud, Grisey, Hurel et Matalon aujourd’hui). Malgré l’intérêt du film, on regrette sa diffusion dans un lieu qui réverbère les paroles, comme à un horaire d’expérience artistique plutôt que culturelle (genre 18h, en avant-concert). Nous le disions déjà l’an passé lors de la soirée sonotron : pourquoi ne pas profiter du dispositif pour mettre une deuxième œuvre au programme [lire notre chronique des 1er et 2 octobre 2010] ?

LB

  1. À l’origine, le terme anglo-saxon « glitch » désigne une défaillance électronique ou électrique qui correspond à une fluctuation dans les circuits électroniques ou à une coupure de courant. En astronomie, c’est la variation brutale de la période de révolution d'un pulsar suite au ralentissement progressif de sa rotation. Il dénomme également un style de musique électronique expérimentale apparue au milieu des années quatre-vingt-dix.