Chroniques

par christian colombeau

Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra de Marseille
- 10 avril 2007
Patrizia Ciofi est Lucia di Lammermoor (Donizetti) à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

On sait que la partition de Lucia di Lammermoor est toute entière un faire-valoir de l'héroïne, une occasion unique de démontrer ses exceptionnelles qualités, tant vocales que dramatiques. Pour sa belle Lucia, sortie de l'imagination fiévreuse de Walter Scott, Gaetano Donizetti, en maître de l'opéra, a concocté de vertigineuses vocalises « à cocottes », permettant ainsi à toute titulaire du rôle d'avoir l'appellation contrôlée de « virtuosissime ». Autant dire de suite que cette œuvre ne peut se monter sans un plateau de primo cartello, car ce cheval de bataille du bel canto ne se trouve bien que sobrement stylisé dans une splendeur vocale parfaite.

Avec ce pilier du répertoire qui ne supporte pas la médiocrité, l'Opéra de Marseille frise une fois de plus la perfection et l'amour du travail bien fait. L'équilibre est parfait – ou presque, selon les goûts – : un grand trio vocal, des seconds rôles musclés à l'extrême, mais encore une forte suggestion théâtrale due au talent combiné du metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia qui, avec son décorateur Jacques Gabel et sa costumière Katia Duflot – on nage dans le XIXe siècle plutôt que dans le XVIIe –, dans des éclairages de Franck Thévenon, vise à l'essentiel : la fatalité du malheur, le cheminement inexorable vers la folie et la mort de Lucia, prisonnière d'un monde de machos. Rien de bien révolutionnaire (tant mieux !), donc, dans ce spectacle constamment cinématographique, poétique toujours, morbide parfois, haut en couleurs quand il le faut, bref : d'un classicisme de bon aloi.

La grande Patrizia Ciofi – qui chante le rôle depuis près de vingt ans – éblouit. Simplement parfaite ! La voix n'a rien perdu de sa fraîcheur, le timbre est toujours fruité et, dans un respect total de la partition et du livret, l'hallucinante et très pyrotechnique scène de la folie se transforme en une exubérante, jouissive et festive succession de prouesses techniques, affranchie de toutes les minauderies du soprano leggero. En prime, une ovation à l'aune de son talent : immense.

Comme touchés par la grâce, ses partenaires se surpassent, à des degrés divers, une fois dit que son amoureux Salvatore Cordella n'aura séduit que ceux qui n'ont pas entendu mieux. Si le registre aigu est chatoyant, la ligne de chant soigneusement travaillée, il lui reste à découvrir l'art de la demi-teinte. Ces réserves sont bien vite balayées par l'imposant, glaçant, hautain, mordant et vindicatif Enrico de Fabio Maria Capitanucci. Dans ses paternelles interventions, la noble basse de Wojtek Smilek achève de nous séduire. Superlatifs aussi, car bien croqués et bien en place, l'Alisa de Murielle Oger-Tomao, Christophe Berry en Normanno et Sébastien Guèze en Arturo, pour une fois rendus à leur vérité première et non plus« panouilles » obligées à tout débutant qui se respecte.

On a souvent« tsimboumboumé » cet opéra. Tout en buvant de l'œil et de l'oreille son illustre épouse – il distille à son égard des tempi sur mesure –, Luciano Acocella lui redonne jeunesse, vibration, exaltation. Sous sa baguette, l'orchestre phocéen frémit de tous les mystères de la lande écossaise et, dans le fameux sextuor, prend de réjouissantes, curieuses et inattendues allures de barcarolle – inouï, non ?

CC