Chroniques

par michèle tosi

Mauro Lanza et Andrea Valle | Regnum lapideum (création mondiale)
2e2m et Pierre Roullier jouent Martin Grütter et Frédéric Verrières

Auditorium Landowski / CRR, Paris
- 29 avril 2016
le compositeur Mauro Lanza et le performer Andrea Valle au CRR de Paris
© melissa dullius

Si Regnum lapideum, donnée en création mondiale, consacre la résidence des deux compositeurs Lanza et Valle auprès de l'ensemble 2e2m, la spirale obsessionnelle de la valse hante les partitions de Grütter et Verrières au sein d'un concert sollicitant la mixité des sources, acoustique et électronique, dont La Muse en circuit assume la diffusion sonore.

« Je cherche de l'inouï dans l'existant » nous dit Frédéric Verrières (né en 1968) dans l'avant-concert animé par Omer Corlaix ; « je désire faire trembler le modèle musical comme dans un art pariétal venu de la préhistoire que l'on découvre à la lueur d'une bougie » précise-t-il dans ses notes de programme. Le compositeur de Mimi, scènes de la vie de bohème, opéra écrit après Giacomo Puccini [lire notre chronique du 19 novembre 2014] s'empare de La valse de Maurice Ravel dans cette nouvelle version d’Une cour impériale vers 1855... donnée en création française. Partant de latrame ravélienne, Verrières réalise ce qu'il nomme une anamorphose ou fantasmagorie, sorte de torsion du modèle dont il repousse les cadres jusqu'à la destruction. C'est le processus d'élan, en tant que phénomène incantatoire et obsessionnel de l’original, que Verrières ressasse, creuse, intensifie, par des crescendos et accelerandos impitoyables, jusqu'à l'éclatement, dans un mélange détonant d'humour et de macabre. L'ensemble instrumental avec piano inclut nombre d'objets exogènes, rhombes, appeaux, flûte à coulisse, sirène, boîte à musique, étoffes froissées... Car ce fin dramaturge donne une dimension théâtrale à son poème chorégraphique aussi effrayant que fantomatique. Ainsi Pierre Roullier et ses musiciens, toujours très coopérants [lire notre chronique du 23 avril 2016, par exemple], arrivent-ils sur scène en dansant ! Puissant et émotionnel, l'assaut musclé des haut-parleurs en fin de parcours – des échantillons de la version pour orchestre de La valse diffusés très fort – décuple l'espace sonore et porte l'angoisse à son paroxysme.

Non moins inquiétante et paroxystique, Veitstanz (La danse de Saint Guy) du compositeur allemand Martin Grütter (né en 1983) est une œuvre mixte imbriquant de manière fort serrée la source électroacoustique, dont une voix-off, et l'ensemble instrumental. La dramaturgie en est portée par le récitant et l'urgence des mots pris dans la spirale de la folie. Le sens du texte allemand nous échappe mais le nom de Marie et l'esthétique « pluraliste » tendant vers la saturation des composantes sonores font planer l'ombre de Zimmermann et « toute l'oppression qui se fait sous le soleil ». Il faut l'énergie et l'extrême précision du geste de Roullier, galvanisant ses formidables instrumentistes, pour donner à la création française de cette pièce aussi courte qu'éruptive, fragmentaire et hérissée, une telle tension exacerbée jusqu'au cri.

Les tensions s'apaisent mais on reste dans la fantasmagorie avec Regnum lapideum (Règne des pierres), troisième et avant dernier chapitre du cycle Systema naturae imaginé par le duo Mauro Lanza et Andrea Valle (respectivement né en 1975 et en 1974), qui doit se clore par le règne des fossiles. Dans ce nouveau « catalogue » exposant douze pierres imaginaires, le dispositif électromécanique s'est encore renouvelé : instrument à cordes traditionnel (le citro au premier plan) et objets trouvés (haut-parleurs, petits tambours, tuyaux, ustensiles de métal) sont disposés en cercle sur le devant de la scène, prêts à vibrer, s'ébranler et résonner sous l'impulsion électrique et les soins minutieux d'Andrea Valle, concepteur et performer aux manettes de l'ordinateur. Tout aussi réactif et exemplaire, l'ensemble instrumental privilégie les cordes, toutes préparées (piano, guitare, cordes frottées) et un riche pupitre de percussions auxquels se joint le saxophone. L'écriture élaborée – sans doute la plus raffinée des trois règnes – donne vie à chacune des miniatures selon la qualité du minéral envisagé (dureté, brillance, couleur, éclat...), et à la faveur d'un parfait équilibre entre les deux instances sonores : fruit d'un alliage secret autant que virtuose, Alatia, dernier gemme refermant le catalogue, laisse sous le charme d'une sorte de « gamelan lanzavalléin », aussi dépaysant qu'enchanteur.

MT