Chroniques

par laurent bergnach

Nixon in China | Nixon en Chine
opéra de John Adams

Théâtre du Châtelet, Paris
- 18 avril 2012
Nixon in China, opéra de john Adams, au Théâtre du Châtelet
© marie-noëlle robert | théâtre du châtelet

Le 21 février 1972, accompagné de sa femme Pat et du secrétaire d’État Henry Kissinger, Richard Nixon arrive à l’aéroport de Pékin pour une visite officielle de sept jours. Aucun président américain n’a encore mis le pied en Chine maoïste ; rien n’est donc laissé au hasard pour célébrer ce moment propre à gommer vingt ans d’hostilités, dans le fond comme dans la forme – quatre-vingt sept journalistes d’un côté, banquet de sept cents couverts et cent mille soldats déblayant la neige de l’autre, comme le rappelle L’Express de l’époque –, le tout sur le dos de Moscou.

Les trois actes de l’opéra de John Adams (né en 1947) concentrent les principaux moments du séjour : conversation tendue avec un Mao Zedong des plus cultivés – ou Mao Tsé-toung, comme on l’appelait avant une réforme de l’écriture, si nos souvenirs scolaires sont exacts – dont les aphorismes déstabilisent les Occidentaux, toast du Premier ministre Zhou Enlai (Chou En-lai) en faveur de la fraternité, visite de Pat Nixon à travers la ville (usine, élevage, hôpital, etc.), puis représentation du ballet révolutionnaire Le détachement féminin rouge qui met en lumière la glaçante Jiang Qing, ancienne actrice de cinéma devenue Madame Mao. Pour finir, la diplomatie s’efface devant des scènes plus intimes, chaque couple revivant son passé amoureux et idéologique – « au temps où la vie était plus simple et les sentiments moins portés sur les compromis ».

En choisissant comme sujet la confrontation de deux personnalités politiques, Peter Sellars renouvelle une tradition de l’opéra historique vivace depuis l’ère baroque – Giulio Cesare (Händel), Motezuma (Vivaldi), etc. –, à cette différence près que l’événement traité n’a pas quinze ans d’âge. De même que Glass préféra passer du temps avec Einstein plutôt qu’avec Hitler [lire notre chronique du 16 mars 2012], Adams hésita avant de donner une vision plus large à un homme qui avait essayé de l’envoyer au Vietnam, et devenu, en 1985, « un objet de dérision pour les comédiens noctambules ». Le livret versifié de la poétesse Alice Goodman qui puise directement aux archives, « tout à la fois épopée, satire, parodie des postures politiques et examen sérieux de questions historiques, philosophiques ou relevant des relations entre les hommes et les femmes », fut le coup de pouce décisif à un projet présenté au public le 22 octobre 1987, à l’Opéra de Houston. Avec sa musique pétrie d’ostinati rejetant « l’académisme sériel », l’ouvrage créé une boucle temporelle qui emprisonne ces moments mythologiques, en faisant une formidable matière à réflexion.

Vingt-cinq ans après la production hyperréaliste de Sellars soumise aux codes du documentaire, le metteur en scène Chen Shi-Zheng préfère « mettre en lumière une trame dramatique qui part de l’exhibition du protocole, avec cette poignée de main très formelle, pour s’achever à échelle humaine, avec la fragilité, le dénuement et la vérité des êtres ». Formé par la rigueur militaire de l’opéra de propagande avant de redécouvrir la subtilité du théâtre traditionnel, ce newyorkais d’adoption et la plasticienne indienne Shilpa Gupta livrent une vision dépouillée, à l’image de ces sculptures sous vitrine à la circulation aérienne qui illustrent les déambulations de la First Lady. Libéré du kitsch oriental et de toute agitation inutile, le spectateur peut se concentrer sur la teneur des échanges diplomatiques entre deux cultures aux politiques économiques antagonistes qu’esquissaient déjà les films diffusés en parallèle durant l’ouverture (agriculture/conquête spatiale, foule en marche/couple isolé dans sa voiture, etc.).

Déjà réunis dans ce même théâtre pour The Bassarids [lire notre chronique du 15 avril 2005], Franco Pomponi et June Anderson incarnent l’anti-communiste notoire avant le scandale du Watergate (1974) et son épouse, modèle de la ménagère républicaine. Il offre un chant projeté, ample et corsé, tandis qu’elle combine souplesse et expressivité, reposant sur un legato exquis. Vaillant lui aussi, Alfred Kim (Mao) jouit d’un aigu étincelant et caractéristique, au métal qui n’agace pourtant pas les dents. Sumi Jo (Madame Mao) tient son rôle d’une manière sûre, ferme et éclatante. Le baryton-basse Peter Sidhom est un Kissinger sonore – surtout lors de sa participation décalée au ballet du deuxième acte, célèbre « œuvre modèle » de la Révolution culturelle. Sophie Leleu, Alexandra Sherman et Rebecca de Pont Davies forment le trio de secrétaires du Grand Timonier. Enfin, le Coréen Kyung Chun Kim s’avère une force tranquille dont l’impact et la stabilité ravissent toujours plus au fil des actes.

Navigant entre moelleux (voire mollesse) et vigueur, Alexander Briger dirige l’Orchestre de chambre de Paris (ancien Ensemble Orchestral de Paris) et le Chœur du Châtelet, efficace, dans une partition qui n’étouffe jamais la voix.

LB