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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Construite autour de son théâtre, la ville de Mannheim garde une grande tradition musicale et dramatique depuis plus de trois siècles et se démarque des salles de la région par quatre soirées de gala annuelles.Si l’une d’entre elles fit entendre Jonas Kaufmann en Werther (13 avril), nous assistons ce soir à Parsifal, avec la Kundry d’Evelyn Herlitzius, le Gurnemanz de Stephen Milling (celui de Salzburg à Pâques) et le Parsifal d’István Kovácsházi, connu surtout à Budapest où il chante en juin Lohengrin au Budapesti Wagner-Napok. Depuis cinquante ans, les noms alignés dans les Parsifal de gala à Mannheim sont, entre autres, Astrid Varnay, Leonie Rysanek et Waltraud Meier en Kundry, Martti Talvela et Hans Sotin en Gurnemanz, René Kollo et Peter Hoffmann dans le rôle-titre.
Ici, l’intérêt n’est pas la Kundry d’Herlitzius qui, en novembre (Berlin, dans la nouvelle production de Philipp Stölzl) et en avril (Vienne), prouvait qu’elle est certainement la meilleure incarnation du rôle depuis Waltraud Meier. Dans une salle qui ne nécessite pas de forcer la voix, le vibrato marqué que ses détracteurs lui reprochent est quasi inexistant. À deux grosses erreurs près (Acte II), elle survole toutes les difficultés sans jamais tirer l’aigu. L’intérêt principal n’est pas non plus Stephen Milling, pourtant méconnaissable par rapport à Salzbourg : en difficulté il y a deux semaines et complètement épuisé à la fin du troisième acte, il est ici très clair, avec une voix projetée, d’un niveau quasi équivalent à la référence actuelle qu’est Kwanchul Youn pour Gurnemanz. Seuls quelques accrocs à la fin du III limitent la ferveur des applaudissements.
Kovácsházi est un meilleur Parsifal que Johan Botha à Salzbourg ou Michael Weinius à Munich, mais il n’atteint pas le niveau de Klaus Florian Vogt à Berlin (novembre) ni celui de Jonas Kaufmann au Met’ [lire notre chronique du 2 mars 2013]. Son chant est correct quoiqu’il ne touche guère, la ligne est précise, mais sa technique n’arrive pas à masquer quelques imperfections. Klingsor est impliqué, Amfortas manque de souffle et de projection, Titurel tient sans problème sa partition. Chœurs et Filles-fleurs sont tous d’un très bon niveau, comme d’habitude outre-Rhin.
L’intérêt n’est pas plus dans la direction d’Alois Seidlmeier (qui dirigeait Don Carlo la veille ici-même). Le Prélude a beau être rassurant, il n’a ni le dynamisme de Nagano, ni le mysticisme de Gatti, ni la ciselure de Thielemann. Il révèle simplement un orchestre qui connaît bien son Wagner. Regrettons cependant qu’il n’y ait aucun climax ni de réelle tension orchestrale, surtout dans les transitions, ce qui entrave l’action dans toute la seconde moitié de l’acte médian et perturbe parfois l’audition du dernier.
Tout l’intérêt est dans la mise en scène. Alors qu’à Berlin se faisait apprécier le traitement de Stölzl, exhibant Christ en croix, lance et Graal au prélude, qu’à Munich la version vieillissante de Konwitschny ennuyait et qu’à Salzbourg la prétentieuse vision de Schulz nous déplut, s’imposait une sorte de « retour aux sources » façon Wieland Wagner Bayreuth 1951, comme cette recréation de la production signée Hans Schüler en 1957.
Le lever de rideau laisse apparaître une scène quasiment vide dont seuls les jeux de lumière vert-jaune tamisés sur un filtre-cadre et un drap de haut dessinent des troncs d’arbres. Après la transformation, le décor représente l’intérieur d’un sanctuaire, dans les mêmes tons. Le dessin sur toile simplifie l’image du temple qui servit à la première mise en scène (1882) et qui représentait l’intérieur d’une crypte carolingienne fort semblable à celle de la cathédrale de Speier, à quelques vingt kilomètres d’ici. Dans cet environnement, exceptés Kundry en haillons et Parsifal en chasseur perdu – Kovácsházi est d’ailleurs réellement un peu perdu puisqu’il bouge trop dans l’ambiance relativement statique de la mise en scène –, tous les protagonistes sont en habit de moine.
Un mont occupe l’Acte II, sur lequel se trouve Klingsor et d’où il finit par projeter la lance sur Parsifal qui l’attrape au vol. Passé le ballet des Filles-fleurs, plutôt joli mais dénué d’érotisme, le duo avec Kundry est donné sur une scène où seule l’image de deux fleurs, virant du jaune au rouge à mesure qu’augmente l’attirance entre les deux protagonistes, vient souligner le propos.
Ce retour dans le passé révèle le niveau des spectacles d’après-guerre et l’importance de l’espace et des lumières dans la mise en scène d’opéras de Wagner, techniques développées dès la fin du XIXe siècle par Alfred Roller à Vienne, alors que Gustav Mahler était directeur musical. Toutefois, comme lorsque nous assistons encore aujourd’hui à des productions d’Otto Schenk [lire notre chronique du 12 avril 2012] ou de Götz Friedrich [lire notre chronique du 7 juin 2003], les attentes actuelles sont différentes. Voir une production comme celle-ci, surtout dans d’aussi bonnes conditions musicales, est riche d’enseignements, mais en cinquante-six ans les esprits ont changé. Alors que le « Regie Theater » peut rebuter de nombreux spectateurs, une approche plus dynamique et proche de l’art cinématographique et des réflexions contemporaines – comme celle de Stölzl (Berlin) – semble à présent plus convenir. Bel ersatz des productions bayreuthiennes cinquantenaires, la soirée demeure excellente.
VG