Chroniques

par vincent guillemin

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Budapesti Wagner-Napok / Művészetek Palotája, Budapest
- 22 juin 2013
Alexandra Szemerédy et Magdolna Parditka signent le Parsifal (Wagner)de Busadest
© budapesti wagner-napok

Ádám Fischer est sans doute le chef qui a le plus appris de Bayreuth, et celui qui le mieux utilise aujourd’hui son expérience en la transmettant à un autre festival. Le Budapesti Wagner-Napok (Festival Wagner de Budapest) reprend au sublime MUPA la plupart des codes instigués par Wagner : début des représentations à 16h (sauf Das Rheingold et Der fliegende Holländer à 18h), une heure de pause entre chaque acte pour que le spectateur se détende totalement, interdiction de rester dans la salle à l’entracte, rappel des balcons au son d’une mélodie wagnérienne par un ensemble de cuivre, etc. Après les Meistersinger von Nürnberg [lire notre chronique du 8 juin 2013] et Parsifal de cette année, il faut se rendre à l’évidence : le niveau est ici désormais supérieur à celui de Bayreuth.

Sans conteste l’un des plus grands wagnériens actuels, Ádám Fischer propose une vision très expressive de l’œuvre tout en évitant le mysticisme trop profond, la sacralité trop catholique ou une dynamique prioritaire sur le message globale. Il suit en cela la conception de Wieland Wagner qui considérait Parsifal comme un ouvrage dramatique et non une pièce de musique sacrée, autorisant dès 1964 d’applaudir après le premier acte (ce qui n’était permis auparavant). Cette direction crée non seulement de grands moments, mais permet qu’à aucun instant la tension ne diminue durant quatre heures. Assister lors du même séjour à Meistersinger permet d’évaluer le niveau de réflexion et la modularité des accents utilisés par le chef pour rendre un message parfaitement cohérent avec l’œuvre jouée.

L’orchestre placé en fosse y est impressionnant, tant il est non seulement juste mais lui aussi expressif. Fort sollicités, les cors jouent fidèlement leur partie avec un lyrisme qu’il est rare d’entendre, même dans les grandes maisons allemandes et autrichiens. La réponse des trombones et de l’ensemble des cuivres est tout aussi impeccable. N’insistons pas plus sur cordes et bois, tant lyrisme et puissance y sont présents.

Mais un opéra de Wagner ne vit pas sans voix, et, malgré l’acoustique quasi parfaite de l’Auditorium Bartók dont l’absence de sécheresse masque certains défauts et convie les solistes à leur plus haut niveau, il faut tout de même de grands chanteurs. En Kundry, Petra Lang est encore meilleure et plus juste qu’en mars à Munich. Sa vigueur dissimule en grande partie la carence expressive qu’on lui reproche parfois. Matti Salminen est un immense Gurnemanz, beaucoup plus à son aise dans ce rôle qu’en soliste du Requiem de Verdi, quelques jours auparavant [lire notre chronique du 18 juin 2013]. Si le souffle peut parfois faire défaut en fin de phrase, il est habillement rattrapé par une technique sans faille et une connaissance parfaite du rôle et de la partition. Le Parsifal de Christian Franz est un peu en force, comparé à celui d’un Klaus Florian Vogt, mais la voix est belle, surtout dans les aigus. Le reste de la distribution n’appelle pas de critique, sauf peut-être, en léger retrait, le Klingsor d’Hartmut Welker, moins convaincant dans ce rôle qui cherche d’ailleurs toujours un chanteur de référence tant il est rarement bien distribué. Les Filles-fleurs, le chœur et surtout les enfants sont également bons et méritent nos éloges.

À ce niveau de musicalité la mise en scène doit répondre par un équilibre de perfection et s’inscrire dans la vision du chef. C’est le cas, avec une conception plus dramatique que sacrée. La réflexion d’Alexandra Szemerédy et de Magdolna Parditka – qui signaient ici-même Tristan und Isolde il y a trois ans [lire notre chronique du 1 juin 2010] - tourne bien autour du drame et évite tout signe religieux. On sent que le texte fut précisément travaillé, même si l’on regrette un rendu parfois simpliste. Stylisé par un drap de scène entièrement noir au sol, le décor s’agrémente à peine d’un escalier en demi-cercle, noir lui aussi, au second plan. Rappelons qu’habituellement configurée pour le concert et non l’opéra, la présente scène n’autorise pas de changement de plateau avec machinerie et convoque plutôt une « mise en espace » (en utilisant les balcons d’arrière-scène sur deux étages) qu’une mise en scène. Parsifal ne souffre pas d’être représenté dans un décor statique ; bien au contraire on l’inscrit dans une réflexion post-Wieland-Wagner qui principalement utilise la force des jeux de lumière [lire notre chronique du 20 avril 2013]. Ici, le glissement vers la pureté est illustré par des détails symboliques, comme la scène qui varie de toute noire à mi-noire mi-blanche en fin du I et devient totalement blanche au III, ou par la robe de Kundry, noire au I, rouge au II pendant l’acte érotique et blanche au III. Parmi les autres acteurs tous très élégants, Parsifal arrive mal habillé au I, avec une chaussure noire et une blanche ; au III, deux chaussures blanches montrent le glissement du novice vers l’être fol et pur, sans la pertinence de discours d’Andreas Kriegenburg (Munich) qui avec une finesse incroyable fait arriver Siegfried dans un monde qui n’est pas non plus le sien à la fin du Ring. Les belles idées de la plume lancée par l’enfant du second balcon au premier acte pour représenter la mort du cygne, réutilisée plus tard comme élément sensuel par Kundry, ou de la colombe vivante s’envolant au final sont pétris dans leur réalisation.

Il n’en reste pas moins que nous avons passé l’une des plus grandes soirées de l’année, prouvant s’il le faut encore la maîtrise d’Ádám Fischer et la qualité actuelle des chanteurs et des orchestres dans Wagner, pour qui l’on croit trop souvent fini l’âge d’or des représentations. Puisque Bayreuth est limité en places, il faut assurément être au Ring de Budapest en 2014, le niveau du festival se révélant peut-être le meilleur au monde (à des prix défiants toute concurrence).

VG