Chroniques

par jorge pacheco

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Opéra de Nice
- 16 janvier 2013
Pelléas et Mélisande, opéra de Claude Debussy
© d. jaussein

Originale sans être déconcertante, moderne sans détournement gratuit, la nouvelle production de Pelléas et Mélisande avec laquelle l'Opéra de Nice ouvre son année 2013 offre une belle relecture du « drame lyrique » de Debussy, ainsi que lui-même le nommait. Équilibré dans sa conception visuelle, le spectacle l'est aussi sur le plan musical où l'excellent plateau, qui allie jeunesse et expérience, est porté par un orchestre tout en finesse dirigé par Philippe Auguin, l’actuel directeur de l’Orchestre Philharmonique de Nice.

Signée par René Koering, la mise en scène souligne volontiers le caractère universel du texte de Maeterlinck qui situe l'action dans le règne imaginaire d'Allemonde (« tous les mondes »), lieu hors du temps où tout est exprimé symboliquement. Certes, il s'agit d'une histoire de princes et princesses, mais le noyau de l'intrigue reste l'amour, sujet toujours d'actualité, ce dont témoigne la quotidienneté presque banale de certains dialogues. Rien de choquant, donc, à voir Golaud en dandy contemporain, costume flambant neuf et lunettes de soleil, rencontrer Mélisande à vélo dans un parc, ni à voir Pelléas en jeans sautiller avec une insouciance juvénile. La pertinence du choix des costumes vient aussi du fait que les personnages changent leur image vestimentaire au rythme de leur évolution psychologique. Mélisande, par exemple, en robe au moment de la rencontre avec Golaud, est incroyablement rajeunie dans la scène de la Fontaine des Aveugles où elle porte des vêtements qui la rapprochent déjà de Pelléas. Son caractère de femme-enfant (on ne sait jamais si elle est trop pure ou trop manipulatrice) est bien souligné par le foulard brodé bleu, très chic (où Pelléas reste attrapé), qui représente sa longue chevelure. Pantalon court et cheveux rouges, le petit Yniold est présenté comme un enfant gâté, fils d'un homme brutal qui prétend remplir le vide d'une paternité absente avec des cadeaux coûteux, à l'instar de la voiture télécommandée avec laquelle l'enfant joue.

Les décors de Virgil Koering (le fils du metteur en scène) soulignent où s’accomplit le destin tragique des personnages. L'espace est encadré de lignes perpendiculaires d'une rigidité frappante, à l'exception de la partie supérieure qui se referme du côté gauche dans un angle aigu, rendant l'intérieur du château encore plus oppressant. Une belle ouverture est cependant suggérée par une mystérieuse fenêtre située au côté opposé, où, grâce à des animations digitales, l’on voit défiler les nuages, les cendres brûlantes d'un volcan et l'eau de la fontaine du deuxième acte. Il est vrai, la réalisation est parfois un peu naïve (comme lorsque la bague tombe dans ladite fontaine, vision peut-être trop explicite et médiocrement accomplie), mais nous saluons les quelques belles images qu'elle offre (comme le paysage nocturne sous une pleine lune qui s'avance, tragique, dans la scène des aveux) ainsi que l'originalité d'un outil technique que nous espérons voir proliférer et se perfectionner dans le futur.

Sandrine Piau – sans doute la favorite du public – donne à sa Mélisande toute l'ambiguïté psychologique qu’exige le rôle. D'une douceur sans égale, sa voix éthérée peut aussi s'assombrir remarquablement pour souligner le côté pathologique du personnage. Sa pureté maladive, en ce sens où elle n'est pas humaine, est parfaitement rendue par un timbre qui, même dans les moments de bonheur, a quelque chose de douloureux, de mélancolique, et semble annoncer son destin tragique. Le jeune Sébastien Guèze incarne un Pelléas plein de joie de vivre. Sa voix brillante donne au rôle un caractère juvénile et empreint de volonté qu’il transmet à la triste Mélisande lors de leurs rencontres. Un aigu perçant et trop accentué par rapport au médium ne nuit pas à une impression générale très favorable, notamment pour ce qui est de la clarté du timbre et du naturel sur scène.

Le Golaud de Franck Ferrari – on ne sait pas si le tatouage au bras (d'un goût douteux) se doit au personnage ou à la personne – se transforme peu à peu d'homme conquérant en monstre violent, rendu fou par la jalousie. D'une grande douceur au début, sa voix gagne en épaisseur vers la fin, sans jamais renoncer à un timbre limpide et presque trop beau pour le personnage. Avec une voix roucoulante, toujours présente et mesurée, même si la mise en scène l'oblige à s'asseoir sur un fauteuil roulant (sans doute pour le situer au-dessus des passions charnelles, voire afin de souligner le caractère stérile de son royaume), Willard White, basse d'origine jamaïcaine, campe un Arkel grandiose, investi de sagesse et de sérénité. Sans être déficiente, sa prononciation du français laisse tout de même deviner un accent anglo-saxon, ce qui ne gêne qu’aux premiers pas. Élodie Méchain (Geneviève), Kathouna Gadelia (Yniold) et Thomas Dear (Médecin) ne déméritent pas et participent largement du succès de l'alchimie.

L'Orchestre Philharmonique de Nice étonne par sa versatilité et circule avec souplesse, sous la baguette solide et raffinée de Philippe Auguin, entre les sonorités aquatiques et les quelques accents violents (plutôt rares) que propose la partition.

Une mise en scène cohérente, donnant sans doute matière à réflexion, que l'on soit d'accord ou non avec ses choix ; des chanteurs en bonne forme et un chef qui rend justice à une partition aussi délicate facilement « abîmable » ; un beau théâtre bien rempli ; tout cela aux bords de la douce Méditerranée et loin de la neige qui tombe sur une grande partie de la France : de quoi se rendre à Nice sans hésiter pour suivre de près la saison de son opéra qui, pour février, prépare une Zauberflöte que nous attendons avec impatience.

JP