Chroniques

par gilles charlassier

Qaraqorum
spectacle de François-Bernard Mâche

Théâtre municipal Raymond Devos, Tourcoing
- 2 mars 2017
à Tourcoing, création mondiale de Qaraqorum de François-Bernard Mâche
© jean-daniel tiberghien

On dit assez l'élitisme supposé de la création contemporaine pour ne pas souligner la salutaire initiative pédagogique de l'Atelier Lyrique de Tourcoing autour de la première scénique de Qaraqorum – du nom de l'ancienne capitale cosmopolite de l'empire mongol, aujourd'hui réduite en traces archéologiques –, commande d'État à François-Bernard Mâche [lire nos chroniques du 10 mai 2008 et du 21 septembre 2004], coproduite avec la Compagnie La Grande Fugue, le Quatuor Debussy, l'Abbaye de Noirlac, le Théâtre de Choisy-le-Roi et le département du Val-de-Marne.

Inspiré par le récit de voyage de Guillaume de Rubrouck, moine franciscain du XIIIe siècle, figure locale de la Flandre, intime de Saint Louis et envoyé en Mongolie à des fins évangélisatrices, l'ouvrage relate la découverte de civilisations et religions différentes que l'ignorance confondait dans le barbare. Il se révèle d'une étonnante acuité contemporaine. À rebours d'une édification facile, le livret, écrit par le compositeur lui-même, retrace un parcours initiatique, jusque dans sa déception de ne pouvoir embrasser et dominer la diversité du monde et des mœurs. À l'usage d'un âge souvent tenté par les ivresses d'absolus intolérants, la pièce offre une propédeutique mêlant subtilement savoir et sagesse introspective.

Confiée au Quatuor Debussy, qui ne se contente pas de manier l'archet et s'investit physiquement dans la mise en scène d'Alain Patiès, la partition s'offre comme un panorama sonore au diapason de l'album narratif, sans chercher l'artifice d'une architecture dramatique autre que la linéarité du périple. Ponctuée par des séquences électroacoustiques préparées par Mâche, l'apparente simplicité de la partie aux cordes plutôt dépouillée va jusqu'à épouser les méandres des langues rares ou oubliées, par lui-même collationnées et enregistrées – davantage pour leurs vertus évocatrices que leur vérité topographique ou historique –, comme un filtre linguistique des exotismes traversés : écriture et réactivité presque improvisatrice se conjuguent dans une performance exigeante de près d'une heure et demie.

Économe, mobile et modulable, la production s'appuie sur la poésie de vidéos réalisées par Louise Bezombes venant se projeter sur la scénographie de Laure Satgé et Valentine de Garidel : la fluidité évanescence des dessins façon encre de Chine plonge le spectateur dans un imaginaire efficace autant que décanté, jalons d'une longue expédition qui se teinte de ses successives et mémorielles couleurs avec un sens du suggestif refusant, comme les costumes de Gabrielle Tromelin, de s'enfermer dans un stérile réalisme documentaire.

On saluera par ailleurs les trois solistes – un ténor et deux barytons ; respectivement Christophe Crapez, Xavier Legasa et Paul-Alexandre Dubois – qui maîtrisent une déclamation exigeante, parfois aux confins du lyrique. En tournée à Choisy-le-Roi en mai, en Ardèche en juillet et à Cergy-Pontoise à la fin de l'année, l'objet iconoclaste confectionné par François-Bernard Mâche et Alain Patiès dément avec pertinence l'obésité financière où l'on confine généralement le théâtre musical et opératique. Il pourrait avantageusement inspirer, à plus d’un titre, les têtes pensantes de l'Éducation nationale.

GC