Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Florian Noack
œuvres de Lauba, Liszt, Liapounov et Mendelssohn

Les Solistes aux Serres d’Auteuil / Orangerie
- 21 octobre 2023
Florian Noack en récital à l’Orangerie des Serres d'Auteuil, 21 octobre 2023...
© william beaucardet | la dolce volta

En fin de journée, il revient à l’excellent Florian Noack de couronner le programme de ce samedi des Solistes aux Serres d’Auteuil durant lequel s’exprimèrent le Duo Játékok (Naïri Bada et Adélaïde Panaget) puis Tanguy de Williencourt [lire notre chronique du jour]. Le jeune pianiste belge confie à la musique de Felix Mendelssohn le soin d’ouvrir son menu, avec Die erste Walpurgisnacht Op.60 dans sa propre transcription. D’emblée nous goûtons son jeu prodigieusement délié, placé sous le signe de la ciselure, voire de la sculpture, plutôt que du dessin. Le relief de l’interprétation est simplement inouï, proprement orchestral, au fond. Encore est-il puissamment chanteur. La maîtrise du grand Yamaha autorise un récit au grand souffle, savamment articulé.

C’est une constante du festival : présenter une œuvre du répertoire contemporain, voire en création mondiale qu’il a commandée, comme ce fut souvent le cas – ainsi de la Sonate Thanatos d’Hyun-Su Kim qui vit le jour hier. Tandis que demain Marie-Ange Nguci puisera dans les Études de György Ligeti, que les Prélude et fugue Op.264 de Valéry Arzoumanov seront joués par Nathalia Milstein et qu’à quatre mains Hervé Billaut et Guillaume Coppola serviront Ivoire de Florentine Mulsant, Florian Noack, à l’instar de Jean-Marc Luisada offrant Lento d’Éric Tanguy la veille, s’attelle à une œuvre déjà presque ancienne, pour ainsi dire. Écrit en 2019, Steamboat de Christian Lauba est un hommage à Show Boat, comédie musicale de Jerome Kern (Broadway, 1927) dont, après ses confrères Harry A. Pollard (1929) et James Whale (1936), George Sidney ferait en 1951 un film remarqué pour l’incarnation de la belle Ava Gardner. La finesse de l’interprétation de cette pièce laisse pantois… à défaut de rendre sensible à la manière du compositeur dont la créativité se place décidément fort loin de notre univers.

Ce bref rendez-vous alterne enfin des pages de Ferenc Liszt et du trop rare Sergueï Liapounov (1859-1924) dont le musicien a récemment gravé les Études d’exécution transcendante Op.11 (1897-1905) pour La Dolce Volta, label discographique sous lequel il signait un peu plus tôt un album Prokofiev, très remarqué [lire notre critique du CD]. Une tendresse indicible traverse la Berceuse, première pièce dudit recueil, qui emmène l’auditeur vers des rives oniriques dont Noack possède le secret. Commencé en 1826 et achevé vingt-six ans plus tard, le cahier d’Études d’exécution transcendante de Liszt est assurément l’inspirateur du Russe ; aussi cet entrelacs fait-il pleinement sens. Nous entendons le fameux Chasse-neige, ultime numéro du corpus, dans une approche infiniment vaste, débutée en douceur plutôt qu’en démonstration de virtuosité creuse. Le sens du relief et de la dynamique est à l’œuvre, sans jamais surligner la tenace redondance du motif descendant. La Ronde des Sylphes, onzième des études de Liapounov, bénéficie d’une souplesse incroyable qui sert admirablement l’impalpabilité des esprits aériens dont on aperçoit néanmoins la danse diaphane. De fait, la virtuosité, aussi discrète soit-elle, est bien au rendez-vous, d’autant plus redoutable qu’elle se cache. La brochure de salle annonce la dixième étude de l’Austro-hongrois, Allegro – Agitato molto, il n’en sera rien : la onzième semble devoir conclure le récita dans l’Andantino intrigant de ses Harmonies du soir, ici déposées en une brume des plus raffinées où sonne Debussy. Jamais le pianiste n’abandonne l’énigmatique moelleux symboliste d’un opus mystérieux jusqu’en ces instants emphatiques du Lied – comme il est compliqué de décrire la simplicité, vraiment ! Et non, voilà soudain la dixième, l’artiste portant à cinq pièces les quatre initialement prévues. Amble ferme et houle intense mènent l’ultime prouesse.

Ultime ? Florian Noack [lire nos chroniques du 25 juillet 2016 et du 20 juin 2021] offre encore deux danses de la Renaissance qu’il a puisées dans un recueil édité à Anvers au XVIe siècle, sans qu’aujourd’hui l’on sache vraiment quel en fut l’auteur. Le roulement de l’agrément, qu’il a conçu en fin transcripteur, révèle une technique infiniment précieuse, dans la meilleure acception du terme. À l’inverse, sa spectaculaire adaptation de la scène finale du Lac des cygnes (Tchaïkovski) éblouit par la musicalité comme par sa densité dramatique. Bravo !

BB