Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Gareth Lubbe et Claudio Bohórquez
Ludwig van Beethoven, Reinhold Glière, Zoltán Kodály et Gareth Lubbe

Festival International de Musique de Chambre / Salon-de-Provence, Église Saint-Michel
- 3 août 2023
Gareth Lubbe en récital au Festival de Salon-de-Provence...
© aurélien gaillard

Après le fort beau concert d’hier soir à l’Empéri, qui fit entendre des raretés de Jean-Michel Damasse, Ervín Šulhov et Johannes Brahms [lire notre chronique de la veille], nous retrouvons le Festival International de Musique de Chambre de Salon-de-Provence pour un premier rendez-vous à 18h, en l’Église Saint-Michel. Il s’agit d’une carte blanche offerte à l’altiste/violoniste et chanteur harmonique sud-africain Gareth Lubbe. Formé au piano et au violon à partir de ses quatre ans, le musicien, né en 1976, a perfectionné son art en Allemagne. Il devint ensuite alto solo du Koninklijk Filharmonisch Orkest van Vlaanderen, à Anvers, puis au Gewandhausorchester de Leipzig. Par ailleurs, il s’est formé à la technique très particulière du chant diphonique, qu’on appelle également chant harmonique, tel qu’il est pratiqué par le peuple xhosa d’Afrique du Sud, et que l’on connaît plus par les traditions asiatiques telles celles des Todjines, Bachkirs, Bununs et Mongols, entre autres, jusqu’aux moines bouddhistes de quelques monastères du Tibet. Cette technique consiste en un chant de gorge qui permet d’émettre deux notes, l’une formant un bourdon et l’autre une ligne principale d’harmoniques, certes limitée mais effective.

Le concert est ouvert par le Duet mit zwei obligaten Augengläsern WoO 32 composé par Ludwig van Beethoven en 1796 qui le dédicace à son ami Nikolaus Zmeskáll von Domanovecz, baron hongrois et compositeur auquel il offrirait également quelques quatuors à cordes. Ce Duo en mi bémol majeur avec deux lunettes obligées s’adressent à un alto et à un violoncelle. Ils comportent deux mouvements ici donnés par Lubbe et l’excellent Claudio Bohórquez [lire nos chroniques des 4 et 8 août 2020] dans une tonicité délicate, d’abord un Allegro gracieux et enlevé, puis un lumineux Menuetto.

Gareth Lubbe est également compositeur. Il nous fait entendre Transitions Étude 1 pour altiste au chant diphonique avec violon. Cette page commence sur le souffle de l’alto par un travail d’harmoniques hésitant et mystérieux qui gagne peu à peu quelque couleur ethnique. Puis, après un stretto plus rythmique, la voix intervient. On n’en perçoit pas d’emblée les deux sons, c’est très progressif, et voilà que survient un tournoiement dans l’aigu, comme répondant aux harmoniques initiales. Après un passage à la voix seule, à la fascinante puissance incantatoire, Lubbe s’accompagne au violon.

S’ensuit l’exécution des Huit Pièces pour violon et violoncelle Op.39 de Reinhold Glière – un musicien dont on joue si peu l’œuvre [lire nos chroniques des Préludes et de ces mêmes duos de 1909] –, que Gareth Lubbe entame par un bref voyage diphonique, immédiatement enchaîné par le Prélude tragique qui fait sensation. À la Gavotte de style néo-baroque est accordée une sonorité d’abord proche de Bach ou de Biber, puis plus folklorique dans l’insert central où surprend un timbre de viole à roue. Après une Berceuse à la vocalité confondante sonne la fort russe Canzonetta au lyrisme proche de Tchaïkovski et de Glazounov. L’élan lumineux de l’Intermezzo subit une redoutable attaque mélancolique qui en précipite le climat dans des gouffres de morosité. À la virevolte d’un Impromptu délicieusement néoromantique succède le ballet miniature du Scherzo. Pour finir, l’Étude affirme une facture plus de son temps, celui des modernités naissantes que Lubbe souligne d’un surcroît diphonique improvisé.

Le 7 mai 1918, Imre Waldbauer et Jenő Kerpely créaient à Budapest le Duo en ré mineur pour violon et violoncelle Op.7 écrit par Zoltán Kodály quatre ans plus tôt lors d’un séjour aux confins du Vorarlberg et du canton de Saint-Gall, à Feldkirch, en réaction à l’annonce d’une nouvelle guerre qui serait bien plus meurtrière qu’on le disait et sur laquelle, à en juger par l’humeur de cette œuvre, il ne s’illusionnait pas. Nos artistes en signent une lecture bouleversante, à la tristesse rude comme un cri de détresse dans le néant. Ils prennent congé du public avec une improvisation pour laquelle ils accueillent le saxophoniste néozélandais Hayden Chisholm.

BB