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Chroniques
Siegfried
opéra de Richard Wagner
À chroniquer cette représentation munichoise de la deuxième journée du cycle wagnérien (c’est-à-dire son troisième épisode), commençons par en décrire les voix, plutôt réunies avec bonheur pour la majorité, à l’exception de deux d’entre elles qui semblent ne pas être ce soir en pleine possession de leurs moyens. Ainsi du contralto Qiu Lin Zhang, maintes fois appréciée ici et là [lire nos chroniques du 6 octobre 2006, du 13 mars 2010 ou du 29 mars 2013, entre autres], et notamment dans le rôle d’Erda qu’elle défend ici péniblement d’un vibrato fatigué oscillant entre aigu instable et grave éteint. Dans le rôle-titre, les accrocs de Stephen Gould surprendront moins, le ténor nord-américain ayant souvent déçu par sa tendance à forcer plutôt que conduire le chant [lire nos chroniques des 27 mars 2009, 27 mai 2011 et 6 janvier 2013]. S’il commence d’un impact assez flatteur, un usage abusif du parlando accuse bientôt des difficultés d’émission que confirment certaines notes gagnées par en-dessous ; il s’en sort mieux à l’acte médian, déployant dans le haut du registre de riches harmoniques graves, presque « barytonantes », mais brutalise jusqu’au non-retour le III (gageons que ce n’est pas le bon jour).
Six gosiers de parfaite tenue ravissent l’écoute.
La jeune Anna Virovlansky, Sophie remarquée in loco (Der Rosenkavalier), mais encore Gilda (Rigoletto) applaudie à Düsseldorf, sert la partie du Waldvogel d’une agilité confondante à la clarté idéale. En Fafner, nous retrouvons l’autorité de Steven Humes [lire notre chronique de l’avant-veille], son imposant grain vocal, d’ailleurs apprécié en Fernando (Fidelio) au Münchner Opernfestspiele il y a deux ans [lire notre chronique du 4 juillet 2011]. Loge facétieux [lire notre chronique du 14 février 2007], Wolfgang Ablinger-Sperrhacke se fait aussi Mime truculent et nuancé, infléchissant adroitement l’intention dans le détail. Lui répond l’Alberich robuste et efficace de Tomasz Konieczny, entendu samedi dans Rheingold. Après Johan Reuter et Bryn Terfel [lire notre chronique de la veille], Wotan (Der Wanderer) est livré aux bons soins du baryton norvégien Terje Stensvold, abondamment salué à Francfort tout dernièrement [lire notre chronique du 1er févier 2013]. La couleur est égale sur toute l’étendue de la voix – et ce n’est pas peu dire, de facto –, l’impact s’avère impératif et généreuse se révèle l’énergie. Enfin, après ses Tosca et Salomé à Paris [lire nos chroniques du 25 octobre 2007 et du 27 septembre 2006], ou encore Alceste à Stuttgart [lire notre critique du DVD], la Californienne Catherine Naglestad, probante Senta (Der fliegende Holländer) d’Amsterdam [lire notre chronique du DVD], offre moelleux, tendresse et attaques luxueusement amorties à sa Brünnhilde, toute souplesse et onctuosité.
Contredisant brillamment la tendance commune à beaucoup de metteurs en scène de concevoir des dispositifs monumentaux quand il s’agit d’aborder le Ring, Andreas Kriegenburg poursuit le sien dans une ingénieuse utilisation des corps humains. À l’aide de quelques trois cinquantaines de figurants, il réalise habilement sa scénographie. Durant le Vorspiel du premier acte, la sensualité brûle dans l’Ewigkeit de la walkyrie déchue comme dans le feu de la forge, sans parvenir encore à reconstituer cette Nothung tant désirée par Mime qui surgit dans l’échappée des flammes. Quasiment nus, ils se transforment en rochers où prennent appuient quelques troncs malingres. Si la dérision de les voir porter des nuages rudimentaires sur un champ de tournesols était avantageusement évitable, les tas souillés du II (qu’on pourra lire comme le délestage digestif du dragon) et plus encore les fantômes des esclaves hâtivement incinérés au Nibelheim (Das Rheingold), quémandant l’amitié du héros pressenti à tuer le terrible Fafner, plonge le public dans un univers d’une cohérence absolue. L’amoncellement fœtal aux pieds d’Erda est moins heureux, avouons-le.
Dans ce monde qui recycle l’âme et le corps, Kriegenburg traite diversement l’action, tout en tissant une certaine continuité avec ses options des deux premières soirées. Si certains aspects n’en sont guère réussis – par exemple : Siegfried musclant ses biceps à l’aide de caisses à outils, les menaces au revolver entre Alberich et le Wanderer, enfin l’extrême vulgarité du triomphe de l’amour au III, dressant un immense drap rouge-sang qui réduit l’espace au lit d’une Brünnhilde entreprenante et lascive –, d’autres s’imposent en véritables traits de génie : ainsi de l’inversion du geste nourricier entre le Nibelung et le Wälse (c’est ici Siegfried qui donne la béquée à Mime, ce qui est révéler clairement l’intention du nain), du formidable délire de la forge en fin d’Acte I – sont mis en branle soufflet, poulie, balustrade, tuyaux, vers, brasero et fausses flammes tandis que l’infâme tuteur concocte un poison à base de rat pillé –, et surtout l’apparition d’un amas de corps se tortillant autour de deux yeux jaunes, dragon proprement terrifiant à la sauvage dentition tachée de sang frais [photo].
Au pupitre, Kent Nagano sculpte à ce Siegfried un relief saisissant, dans une belle arche expressive. Le Bayerisches Staatsorchester arbore des cordes lumineuses, malgré une tendance du chef à étirer certains passages.
BB