Chroniques

par françois cavaillès

Stéphanie d’Oustrac et les musiciens de l’ONF
Hector Berlioz et Camille Saint-Saëns

Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 24 mars 2024

Pour les quatre-vingt-dix ans de l’Orchestre national de France (ONF), la leçon d’histoire de la musique se poursuit dans la maison ronde, lieu d’une exposition sur le sujet. La mélodie est honorée, à l’heure d’une messe des Rameaux en communion amicale avec le premier grand compositeur tricolore à investir le genre, Hector Berlioz (1803-1869), Les nuits d’été, cycle d’après le maître en romantisme Théophile Gautier (1811-1872), s’étant joué en 1834. Villanelle, danse entamée « Quand viendra la saison nouvelle », les éléments poétiques viennent à point, « sous nos pieds égrenant les perles », grâce à Stéphanie d’Oustrac. Ne trouvant pour l’instant qu’un accompagnement timide, de la part du quatuor à cordes formé de membres de l’ONF (dans un arrangement d’Emmanuel Haratyk), le mezzo, expert en la matière, s’immisce, avec la gourmandise attendue, pour la strophe finale, dans un flot vocal caressant.

Le spectre de la rose connaît un doux éveil, profitant de cette version chambriste. Dans un parfum automnal mêlé de la mélodie du violon, le chant entre avec subtilité, puis le vers s’étire à bonne distance de la stabilité du quatuor. Au troisième tour du récit, la poésie est métamorphosée – « Tu me pris encor’ emperlée », déclamation toute française, juré !... Le goût de la chute se doit aussi romantique qu’il fut amèrement vécu par le compositeur, alors séparé de l’amour de sa vie, Harriet Smithson, épouse et actrice. Après un bref intermède en pizzicato, quelle image du poète provoque, géniale, un régal d’harmonie musicale pour le terrible « Mais ne crains rien » ! Y répond « ce léger parfum »… Les contradictions de l’amour sont peintes comme la condition humaine, avec cette force et netteté. C’est la fleur du sentiment que le chant porte haut. Cordes vibrantes au languissant crépuscule du poème, l’épitaphe est conduite, par un enchaînement puissant et étrange, dans une expressivité singulière. D’un lyrisme lugubre distinct de l’opéra et ponctué en vibrato, Sur les lagunes s’avance en une belle continuité. « Dans le ciel », oui, se confond le mezzo comme en rêve au Jardin des Poètes. Au-delà de son buste monumental, Théophile Gautier gouverne l’imagination. « La colombe oubliée » survient au violon, symbole du délaissement traduit en bouleversements naturels par la tragédienne. « Que mon sort est amer ! » Musiciens et chanteuse l’ont pimenté de frictions annonciatrices de Baudelaire – « Ah ! sans amour s’en aller sur la mer ! » L’effet final est sublime.

Pour exprimer l’Absence, le chant se fait à coup sûr alerte et élevé, mais à la différence d’une prière, plutôt dans l’intonation. Et d’une voix colorée comme « la blanche tombe », voici qu’au cimetière repose le trésor romantique, vigoureux dans ses peines, transporté « aux cieux » par le mezzo halluciné et le violoncelle, « ange amoureux ». « Sur les ailes de la musique » passe comme un éclair, l’écho de l’amour, « Les belles de nuit » complétant le tableau romantique révélé par les musiciens. Ici, tout particulièrement, apparaît combien ces arrangements pour quatuor à cordes défendent l’intérêt de ces mélodies françaises. Le cycle, délicieux, ne se referme pas vraiment, seulement L’île inconnue semble exister, en dernier lieu, comme exercice de style sur le thème marin.

Et alors, comme une giboulée de mars, le climat peut changer du tout au tout ! Lla musique de chambre de Camille Saint-Saëns (1835-1921), sans manquer d’un savoir-faire extraordinaire, présente des longueurs et le risque d’ennui. D’un fort regrettable coq-à-l’âne, le Septuor pour cordes, piano et trompette, en mi bémol majeur Op.65 (1879) parait, juste après la grande clarté des Nuits d’été, de bric et de broc, voire sans grande expression, à l’exception du dernier mouvement, éclatant divertissement virtuose, empanaché de joie enfantine. Aux musiciens de l’ONF – Laurent Manaud-Pallas et Gaëlle Spieser (violons), Julien Barbe (alto), Emma Savouret (violoncelle), Thomas Garoche (contrebasse) et Grégoire Méa (trompette), accompagnés par Guillaume Bellom au piano –, il ne reste plus, sous les applaudissements, qu’à rendre hommage, en bis, au génie bon vivant de Saint-Saëns, avec le joyeux final du Carnaval des animaux (1886).

FC