Chroniques

par laurent bergnach

The seven deadly sins | Les sept péchés capitaux
ballet-Singspiel de Kurt Weill

operavision.eu / Opera North, Leeds Playhouse
- 18 avril 2022
"Les sept péchés capitaux" de Kurt Weill, filmé à Opera North (Leeds)
© tristram kenton

Le 20 mars 1933, Heinrich Himmler, futur ministre de l’Intérieur du Reich, annonce l’ouverture du premier camp de concentration répertorié comme tel, à Dachau, où il fait interner les opposants politiques – communistes et syndicalistes, principalement, bientôt rejoints par Témoins de Jehovah, Tsiganes, homosexuels, etc. Le jour suivant, averti que les nazis prévoient de l’arrêter, Kurt Weill (1900-1950) quitte l’Allemagne pour se réfugier à Paris où il compte quelques amis, dont Darius Milhaud.

Quelques semaines plus tard, le musicien raconte sa nouvelle vie au journaliste Claude Dhérelle, et en particulier son travail sur une commande des Ballets 1933, une compagnie de ballet fondée par Boris Kochno, adoubé par le défunt Diaghilev, et le chorégraphe George Balanchine, désireux d’explorer sa propre créativité à l’écart des Ballets russes de Monte-Carlo. C’est dans une pièce calme, mise à sa disposition par le vicomte de Noailles, que le musicien vient de s’emparer pour la dernière fois des mots de Bertold Brecht. Il s’agit d’une sorte de ballet-Singspiel dont les interprètes sont Tilly Losch, actrice et danseuse mariée à Edward James, le mécène de la compagnie, ainsi que la chanteuse Lotte Lenya, l’épouse dont Weill s’est séparé un an plus tôt. Il raconte :

« le sujet, qui a inspiré une parfaite chorégraphie à Balanchine, est celui de deux jeunes filles qui, désirant gagner de l’argent pour faire construire une maison à leur famille, partent en voyage. Elles sont, au cours de leurs pérégrinations, assaillies par les sept péchés capitaux, mais elles ne succombent pas. Elles reviennent pures, chez elles, et font construire la maison de leurs rêves. […] Ce n’est pas seulement un ballet, puisqu’il y a du chant en scène. Il comprend même cinq chanteurs : une femme et quatre hommes. Et nous avons essayé, Balanchine et moi, que les mouvements ne soient pas seulement des mouvements, mais qu’ils suggèrent en même temps des idées » (in De Berlin à Broadway, Éditions Philharmonie de Paris, 2021) [lire notre critique de l’ouvrage].

Le 7 juin 1933, au Théâtre des Champs-Élysées, se créé Les sept péchés capitaux, repris à Londres le 30 juin, sous le titre Anna Anna. C’est aussi en Angleterre que nous mène cette production d’Opera North, enregistrée dans les murs du Leeds Playhouse, le 21 novembre 2020. On y découvre une traduction anglaise du texte signée Michael Feingold, ainsi qu’un arrangement de la partition, réalisé par HK Gruber et Christian Muthspiel pour quinze instrumentistes. Membres de l’Orchestra of Opera North, ces derniers sont placés en fond de scène, sous la direction de James Holmes à la baguette – hélas – friande de ralenti et de rubato.

Gary Clarke divise l’espace de jeu en sept portions numérotées, chacune meublée d’un objet emblématique (mannequin de couture, caméra, pèse-personne, etc.), qu’occupent à tour de rôle les héroïnes – George Johnson-Leigh est en charge des décors et s’associe à Stephen Rodwell pour les costumes. Le mezzo-soprano Wallis Giunta (Anna I) séduit par son chant facile et chaleureux [lire notre chronique de Die Walküre], tandis que Shelley Eva Haden (Anna II) livre une danse globalement nerveuse et acrobatique. Si les parents incarnés par Campbell Russell (Père) et Dean Robinson (Mère) ne donnent pas satisfaction (instabilité, vibrato excessif, etc.), il en va autrement des frères qui empruntent leurs traits au ténor Stuart Laing et à la basse Nicholas Butterfield, pleins de santé.

LB