Chroniques

par laurent bergnach

Yvette et Sigmund ou les gants noirs de la psychanalyse...
fantaisie lyrico-pseudo-psychanalytique d’Hélène Delavault

Théâtre du Rond-Point, Paris
- 17 décembre 2006
Yvette et Sigmund, fantaisie de Delavault
© philippe delacroix

Yvette, c'est Mademoiselle Guilbert (1865-1944), étoile de la chanson populaire française qui fit ses débuts dans de petits rôles au théâtre, avant de se tourner vers la chanson et le café-concert – l'Eldorado, le Casino de Lyon, l'Eden-Concert, puis le Moulin Rouge qui lui assure, en 1891, un succès qui tardait à venir. Sigmund, c'est bien sûr Freud, lequel assista aux débuts de l'artiste sur les conseils de Mme Charcot, alors qu'il participait au Congrès International d'Hypnotisme à Paris, en 1889. Quelques décennies plus tard, une nièce du mari de Guilbert connaissant Anna Freund, l'admiration du Viennois pour la Parisienne fut dévoilée. Photos dédicacées et rencontres autour d'un thé scellèrent une reconnaissance qui fut certes mutuelle mais, comme le dit Hélène Delavault à l'origine de ce spectacle, « d'une fondamentale incompréhension ».

Pour l'illustrer, une répétition imaginaire entre la chanteuse et son pianiste nous plonge au cœur de controverses. Lui – Jean-Claude Drouet, qui passe de l'embouchure d'une théière à un extrait délicat de l'Opus 19 de Schönberg, et pousse la chansonnette à l'occasion – s'avère un féru de la méthode freudienne ; il dissèque les chansons irrévérencieuses de sa patronne, lesquelles fustigent les vices et les obsessions sexuelles de ses contemporains avec l'adhésion de Gounod, Zola ou Shaw. Du coup, le voilà parlant narcissisme, hystérie, sublimation, principe de plaisir et pulsion de mort. Et lapsus aussi, au point d'en truffer le spectacle d'indigne façon.

Mais ces belles théories se heurtent à une résistance. Guilbert déclina réellement une proposition du penseur d'analyser son art. Elle qui se dit « chanteuse sans voix, qui demande au piano ou à l'orchestre de chanter à sa place » (La chanson de ma vie, 1927), qui soignait diction, maquillage, œillades et déhanchements, ne put se résoudre à voir le mot inconscient remplacer ceux de construction et travail. Hélène Delavault a retenu la leçon : elle cisèle chacune des douze chansons de cette fantaisie-pseudo-psychanalytique, usant avec aisance de sa voix de mezzo au besoin nasillarde, passant du rire absurde (Le Gardien de Phare, Les Artichauts, etc.) à des mélodies plus introspectives comme Après un rêve de Fauré ou Les Fœtus de Mac-Nab.

LB