Chroniques

par monique parmentier

André Grétry
Andromaque

1 livre-disque 2 CD Glossa (2010)
GES 921620-F
André Grétry | Andromaque

L'Andromaque de Grétry avait disparu de la scène depuis le XVIIIe siècle : fidèle à sa vocation, le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV), en partenariat avec la Fondation Bru Zane de Venise (Centre de Musique Romantique française), l'a recréé à l'occasion de sa saison d'automne 2009.

Cette unique incursion de Grétry dans la tragédie lyrique se révèle passionnante à plus d'un titre. Tout d'abord parce qu'elle est une œuvre charnière. Si peu baroque et déjà préromantique, elle est remarquable par ce qu'elle semble si parfaitement s'intégrer dans la mouvance des arts décoratifs de son époque, dans ce retour à l'antique si moderne qu'il ne peut que redevenir contemporain. Par ses qualités musicales, ensuite, dont les spécificités musicologiques nous sont présentées dans l'excellent livret (livre) confié à la plume alerte de spécialistes passionnés, dont les frères Dratwicki. Enfin par l'écoute vraiment enthousiasmante de l'interprétation qui nous est offerte ici.

Plus connu pour ses opéras comiques dont L'amant jaloux [lire notre chronique du 17 mars 2010], André-Ernest-Modeste Grétry, sur un livret adapté par Louis-Guillaume Pitra d'après la pièce de Jean Racine, relève avec feu et vivacité la violence des destins. Sa musique traduit la passion qui détruit jusqu'à la folie et à la mort. Et même si parfois on est surpris par quelques aspects plus légers destinés au public de l'époque qui aimait la danse plus que tout, jamais elle ne perd ce fil qui se déroule jusqu'à sa conclusion tragique.

Andromaque est une œuvre splendide, révélée au grand jour par cet enregistrement. La distribution en est brillante. Solistes et chœurs possèdent un phrasé parfaitement maîtrisé. Un français, lui aussi superbe, théâtralise facilement l'action qui se joue. L'Andromaque de Karine Deshayes et l'Hermione de Maria Riccarda Wesseling sont bouleversantes par leurs qualités vocales. La musicalité poignante de la première, le timbre clair, la projection tragique de la seconde, nous rendent sensibles aux personnages. Si l'Oreste du baryton grec Tassis Christoyannis possède un timbre d'une grande souplesse, permettant d'apporter à ce héros si fragile qu'il sombre dans la folie toute la noblesse voulue, le Pyrrhus de Sébastien Guèze est toutefois un cran en dessous, faisant preuve d'un certain maniérisme dans l'interprétation.

Les chœurs, véritables acteurs du drame, sont, quant à eux, vraiment exceptionnels. Non seulement coryphée antique, ils accompagnent les personnages comme des intimes et viennent les soutenir dans leurs désarrois et leurs joies. Certains rôles, d'ailleurs, comme ceux de Phoenix ou de Grecs, sont joués par des voix sorties de l'ensemble. Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles et le Chœur du Concert Spirituel ici réunis s'avèrent d'une homogénéité époustouflante, servant le drame avec ferveur.

Sous la direction galvanisante d'Hervé Niquet, Le Concert Spirituel apporte aux chanteurs les nuances et les couleurs d'une musique bien plus riche que la postérité ne le laissait entendre. Voici un retour au répertoire dont il faut se féliciter. Andromaque méritait ce retour sous les feux de la rampe, non seulement parce qu'elle est un chaînon manquant, mais bien parce qu'elle est une œuvre unique, audacieuse et surprenante.

MP