Chroniques

par vincent guillemin

Anton Bruckner
Symphonie en ré mineur n°9

1 CD Deutsche Grammophon (2014)
0289 479 3441 7
Claudio Abbado joue la Symphonie en ré mineur n°9 d'Anton Bruckner

Le dernier programme de Claudio Abbado aura été un programme d’inachevées, avec la Symphonie en si majeur D.759 « Die Unvollendete » (longtemps numérotée 8) de Franz Schubert, en deux mouvements, et la Symphonie en ré mineur n°9 d’Anton Bruckner, en trois mouvements. Plutôt que livrer la captation live de l’ultime concert au Lucerne Festival [lire notre chronique du 26 août 2013], le présent CD propose un montage des bandes du 21 au 26 août, entre les deux jours de répétitions et les trois soirs publics. Il ne présente que la Neuvième de Bruckner, laissant pour un autre disque l’opus schubertien.

Abbado avait déjà donné sa vision de la Neuvième au CD, que Deutsche Grammophon vient de rééditer dans un coffret contenant aussi la Première (avec Lucerne) et les numéros 4, 5 et 7 avec les Wiener Philharmoniker ; on connait également une autre version de la Symphonie en ut mineur n°1 dans le coffret Decca Years paru en mai 2013. D’Abbado nous savons qu’il ne faut attendre ni l’excès de pathos, ni une lecture profondément grave des œuvres du maître de Linz comme on la trouve chez Otto Klemperer, ni très lente comme le font Sergiu Celibidache ou Leonard Bernstein. Plus claire et plus souple, son interprétation s’inscrit plutôt dans la continuité de Carlo Maria Giulini.

D’une durée d’une heure et trois minutes, cette version se situe dans la moyenne, en termes de tempi. Le premier mouvement (Feierlich, misterioso) y montre avec splendeur un développement à la tension retenue mais bien présente, d’une atmosphère globale que beaucoup de chefs n’arrivent plus aujourd’hui à créer, notamment dans la gestion des silences. Le deuxième (Scherzo) ne fait pas état de cassures sèches ni de cordes abruptes, et garde une fluidité marquée et une extrême finesse, tant dans les pizzicati que dans les montées chromatiques. Le Lucerne Festival Orchestra y révèle une parfaite maîtrise, des cordes aux percussions, en passant par des flûtes d’une justesse absolue.

Mais c’est surtout pour l’Adagio final – l’un des plus beaux et des plus complexes de la discographie – qu’il faut connaître cet enregistrement. Loin de rechercher un climat dur et accablant, Claudio Abbado prend au contraire un extrême recul, celui qu’il avait de la vie. À écouter les accords graves (à partir de 3’08), toujours légers dans cette approche pourtant si nostalgique, ce qui ressort n’est pas la mort mais le plaisir de vivre, celui d’avoir vécu. Ce souffle se dégage des cordes (5’26), puis de la beauté des flûtes, de la légèreté des violons – encore, toujours. Ce même souffle se retrouve à 8’04 : tout s’accorde dans une réflexion profonde face à l’approche de la fin, sans exprimer aucune peur, aucune dépression. Un tournant se créé dans les trois dernières minutes (à partir de 22’30, particulièrement) qui sont peut-être les plus belles de toute les versions disponibles. Il est possible de les écouter cent fois d’affilé, les larmes aux yeux, mais joyeux, joyeux d’avoir entendu cela et de l’entendre encore grâce au disque. Trois minutes d’infini, d’éternité… d’inachevé.

VG