Chroniques

par bertrand bolognesi

archives Vladimir Sofronitski
enregistrements 1937-1953

2 CD Urania (2007)
SP 4258
archives Vladimir Sofronitski | enregistrements 1937-1953

Grâce au label Urania, nous retrouvons aujourd'hui le très inspiré Vladimir Sofronitski dans d'absolues raretés enregistrées à Moscou entre 1937 et 1953, soit durant les seize dernières et terribles années de Staline. Ces documents précieux, réunis en deux CD, non seulement permettront au mélomane d'approfondir sa connaissance du grand talent du pianiste russe, mais lui donneront l'occasion d'explorer plus précisément un répertoire encore peu présent, au disque comme au concert.

À commencer par ces quelques pièces d'Anatoli Liadov (1855-1914), un musicien que l'absence d'un grand œuvre spectaculaire dissimule à l'attention du public comme du musicologue, partant qu'il a surtout composé des miniatures, jusqu'à pléthore, cela dit. Au hasard des programmations symphoniques, il arrive que l'on puisse entendre un elliptique Lac enchanté, ou encore les brèves Kikimora ou Baba-Yaga, trois pages dont les seuls noms suffiront à situer Liadov dans une inspiration national. Outre qu'on remarquera dans ces gravures l'héritage assez évident de Chopin (Prélude Op.57 n°1, par exemple), on y percevra les lassitudes mélancoliques à venir de Rachmaninov (Prélude Op.31 n°2), des charmes gentiment moussorgskiens (Opus 32), voire une poésie toute scriabinienne (Prélude Op.43 n°3).

De Scriabine, dont Sofronitski épousa la fille Elena, deux Préludes de l'Opus 27 nous sont livrés avec une fermeté d'expression inégalée (en 1938), ainsi que la Sonate Op.23 n°3 (huit ans plus tard), qui conclut brillamment ce beau digest. Restant dans le plus attendu, les interprétations de Chopin ne gâtent rien, de même que la Gnomenreigen de Liszt, claire comme jamais, et quelques moments empruntés à Prokofiev dont on ne se lasse pas.

Deux extraits du second livre de Préludes de Debussy, captés en 1952, tire cette musique française, de fait largement influencée en son temps par Tchaïkovski, Moussorgski et Rimski-Korsakov, vers le symbolisme de Scriabine – sur ce point, on écoutera avec beaucoup d'attention une version assez étonnante des Feuilles mortes. S'il faut avouer que la Sonatine Op.13 de Kabalevski présente peu d'intérêt, Prélude et Fugue en la mineur Op.101 du paradoxal Glazounov retient l'écoute par une construction dont l'académisme croise d'assez près celui de Reger qu'il magnifie d'une maestria nettement plus concluante.

Enfin, si le chimiste contrarié Borodine a peu écrit pour le piano, cette anthologie lui rend un bel hommage à travers une version infiniment poétique et d'une formidable précision de sa Petite Suite composée en 1885, dont Sofronitski peint minutieusement chaque paysage. Du grand, du très grand piano...

BB