Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
Albert Herring

1 coffret 2 CD Naxos (2003)
8.660107-08
Benjamin Britten | Albert Herring

Des opéras de Britten dont le titre annonce le personnage principal, Albert Herring est un des moins joués – cette comédie présentant à priori moins d'intérêt que les sombres Billy Budd et Peter Grimes. L'œuvre fut créée le 20 juin 1947, au Festival de Glyndebourne, par la troupe d'opéra de chambre qu'il venait de former, l'English Opera Group. Le livret d’Eric Crozier est une adaptation très britannique du Rosier de Madame Husson, la célèbre nouvelle de Guy de Maupassant.

Nous sommes au printemps 1900, dans le village imaginaire de Loxofd (Suffolk). Quelques notables se réunissent chez la vieille Lady Billows. Autoritaire, désagréable et râleuse à souhait, cette dame patronne l'élection de la Reine de Mai. On propose des noms, mais Florence, la femme de chambre et dame de compagnie, semble prendre plaisir à faire tomber le couperet à chaque nouvelle fille proposée : celle-ci a été vue au bois avec Tom Hood, cette autre a ouvert au facteur en chemise de nuit... On arrive vite en fin de liste et l'agacement de Lady Billows est à son paroxysme : « want virgins - not trollops... » Le commissaire de police imagine alors de choisir un Roi de Mai : Albert Herring, qui s'occupe de l'épicerie de sa mère, est un modèle de vertu. D'abord réticente, la vieille dame finit par accepter, ne serait-ce que pour donner aux filles une leçon. Dans la deuxième scène de ce premier acte, nous faisons la connaissance du gentil Albert, de Sid qui l'encourage à s'émanciper un peu et de Nancy, l'amie de ce dernier. Les deux amoureux se donnent rendez-vous sous la lune et quittent Albert qui s'interroge sur le sens de sa vie. Le Comité de Mai débarque soudain pour annoncer la bonne nouvelle à la mère et à son fils : le titre... plus une récompense en pièces d'or. L'Acte II débute par la cérémonie de remise du prix – au cours de laquelle Sid ajoute pas mal de rhum dans la limonade du héros du jour. Mais l'heure du scandale n'a pas encore sonné... Seul dans son épicerie déserte, Albert retrouve ses questions existentielles et joue son destin à pile ou face. Va-t-il rester toujours un fils à maman dont même les chenapans du quartier se moquent ? Non, il part faire la noce ! Acte III. Après une disparition de plusieurs heures durant lesquelles tout le monde s'inquiète, Albert réapparaît et confie des détails de son escapade. Ce sont tous ces gens bien intentionnés, qui voulaient le tenir dans du coton, qui en sont finalement responsables, même si tôt ou tard, il l'aurait fait. Lady Billows s'en va furieuse et humiliée, madame Herring jure qu'elle ne lui pardonnera jamais... Le jeune homme s'en fiche et jette au public sa couronne de Roi en fleurs d'oranger.

C'est à un joyeux jeu de massacre que se livre Britten tout au long de son opéra. La bonne société de cette Angleterre fin XIXe nous est montrée unie comme des cavaliers de chasse à courre, mais leurs travers valent ceux de leurs boucs émissaires : ridicule du concours et de la cérémonie (des compliments jusqu'aux livres offerts), ridicule des banalités funéraires (« mort si jeune, mort trop tôt... »), etc. Au final, le masque tombe : après avoir réclamé Conan Doyle pour retrouver le disparu, Lady Billows trahie demande des comptes au fêtard sur ce qu'il a fait de l'argent du prix. Face à ce chœur d'hypocrites, Britten charge les monologues d'Albert ou le duo des amoureux de distiller la profondeur et l'humanité qui manque au groupe. Faisant presque bande à part, la chorale des élèves disciplinés ou les gamins turbulents viennent apporter une fantaisie sans ironie à cette ambiance à la Miss Marple. Britten, qui a toujours laissé sa place à l'enfant dans son univers, semble préparer ici le passage The driving boy de sa Spring Symphony, qu'il achèvera deux ans plus tard.

Musicalement, on l'a dit, cet opéra a été conçu pour formation réduite. C'est un piano seul qui souligne le côté intimiste et bourgeois du salon de Lady Billows, c'est un cor rustique qui annonce les préparatifs de fête. Il y a également ces bruits si symboliques : la pendule bien réglée de Lady Billows, la clochette de la boutique qui ricane comme un rappel à l'ordre ou ces sifflements de mauvais garçon dont l'apprentissage par Albert équivaut à un rite initiatique. La distribution des chanteurs semble idéale, surtout au regard des caractères et des rapports entre les personnes : le soprano Josephine Barstow a la poigne qu'il faut pour tenir sous ses ordres la mezzo Felicity Palmer, un rien vulgaire et émouvante ; le baryton Robert Lloyd joue un commissaire au timbre brumeux qui fait écho au curé beaucoup plus poli – Peter Savidge – ; Gerald Finley incarne un garçon boucher corsé avec toute l'assurance qui manque au timide Albert – le ténor Christopher Gillett. Steuart Bedford, qui a souvent servi Britten en France, dirige avec vivacité et malice le Nothern Sinfonia, dans cette version enregistrée en l'église All Saints de Gosforth et éditée en 1997 chez Collins Classics.

LB