Chroniques

par laurent bergnach

Bertrand Dermoncourt
Igor Stravinski

Actes Sud / Classica (2013) 208 pages
ISBN 978-2-330-01619-7
Bertrand Dermoncourt | Igor Stravinski

Troisième des quatre fils d’une basse renommée du Théâtre Mariinski (Saint-Pétersbourg), Igor Stravinsky (né à Lomonossov le 17 juin 1882, mort à New York le 6 avril 1971) reçoit ses premières leçons de piano vers l’âge de neuf ans, quelques mois avant d’assister à une représention de Rousslan et Ludmilla (Glinka) en présence de l’impressionnant Tchaïkovski. Malgré des dons musicaux encouragés par un oncle, ses parents l’obligent à plusieurs années d’étude du droit pénal. Celles-ci lui apportent au moins de rencontrer l’un des sept enfants de Rimski-Korsakov, puis le compositeur de Sadko lui-même [lire notre critique du DVD]. Le musicien et pédagogue devient une sorte de père adoptif à la mort du père naturel (1902) auquel Stravinsky dédie ses premiers pas – dont une cantate pour chœur mixte et piano et un Chant funèbre, aujourd’hui perdus – et dont il garde en mémoire les précieux conseils sur le travail quotidien : « ne jamais attendre l’inspiration […] mais composer régulièrement, chaque matin, que vous le vouliez ou non. Si vous ne parvenez à rien un jour, ne vous découragez jamais : vous pouvez être certain qu’un autre jour vous déborderez d’idées ».

Créateur rationnel et instinctif, esprit cultivé et éclectique, le « Picasso de la musique du XXe siècle » se livre à une perpétuelle réinvention tout au long de sa vie, cherchant sa voie à distance du romantisme (Wagner, et plus généralement de « l’Allemagne pédante et sentimentale »), du jazz, de l’atonalité, etc. Il froisse les uns par ses emballements privées (pour la foi orthodoxe ou pour Mussolini, vu comme un protecteur des avant-gardes) et déconcertent les autres par ses multiples orientations artistiques, figure irritante que les critiques n’épargnent pas – « pas de talent, que des dissonances » (Glazounov) ; « vieux, il sera insupportable […] » (Debussy) ; jusqu’au rival es modernité Schönberg qui décrète qu’Œdipus Rex [lire notre critique du CD] ne vaut « absolument rien ».

Déjà l’auteur de biographies dans le domaine pop-rock (Bowie, Depeche Mode, The Cure, etc.) et d’un fort décevant Dmitri Chostakovitch pour cette même collection qu’il dirige [lire notre critique de l’ouvrage], Dermoncourt tente d’éclairer l’« énigme » Stravinsky en différentes approches successives. Avec l’aide de Laure-Helène Dufournier – citée en amont de douze chapitres et annexes (repères discographiques et bibliographiques) –, il renonce à la chronologie pour peindre des portraits variés : le père de famille chaotique, l’associé des Ballets russes, le démiurge du Sacre, la coqueluche parisienne, l’exilé américain, etc. Il n’est pas toujours aisé de suivre l’artiste dans sa continuité, mais l’option se défend.

En revanche, difficile d’adhérer à la référence finale à Bernstein, compositeur de comédies musicales, et à Benoît Duteurtre, amateur notoire d’opérette et de la prose d’Houellebecq, pour faire le procès de la génération de 1925, porteuse de la « dictature sérielle ». Nous conseillons donc au lecteur d’investir 18,50€ dans une biographie du « petit Modernsky » qui soit autre chose qu’un éloge du kitsch en musique.

LB