Chroniques

par laurent bergnach

Bruno Maderna
Concerto pour violon – Concerto pour piano

1 CD NEOS Music (2013)
10937
Tamayo joue Maderna : Concerto pour violon et Concerto pour piano

Les enfants prodiges continuent de naître au XXe siècle ! Preuve en est Bruno Maderna (1920-1973) qui commence le violon à quatre ans, avec son grand-père, avant de diriger plusieurs formations du Nord de l’Italie, entre douze et quinze ans. Passé la vingtaine, le plus souvent à Venise où il enseignerait un jour lui-même, il perfectionne ce talent avec Antonio Guarnieri (1880-1952), créateur du Belfagor d’Ottorino Respighi [lire notre critique du CD], et surtout Hermann Scherchen (1891-1966), lié aux premières auditions d’œuvres signées Webern, Hindemith, Hába, Hartmann, Dallapiccola ou encore Xenakis. À Maderna, pas moins que son professeur de composition Gian Francesco Malipiero (1882-1973), le Berlinois donne les clés du dodécaphonisme et de la Seconde École de Vienne. Notons que dans un de ses nombreux écrits évoquant l’un ou l’autre, Luigi Nono (1924-1990) rend hommage à leur pédagogie stimulante :

« lorsque je travaillais avec Maderna, il nous donnait à étudier Machaut, Purcell, Schubert, Bellini et Dallapiccola, afin de voir comment les diverses formes de chants se construisaient dans leur diversité culturelle. Scherchen m’a également beaucoup appris en me faisant découvrir les différentes époques du chant, depuis le chant synagogal jusqu’au Sprechgesang,avec toutes les manières d’employer l’appareil phonatoire. Il n’hésitait pas aussi à remonter aux textes espagnols datant du Xe siècle » (Bellini : un Sicilien au carrefour des cultures méditerranéennes, 1987 in Écrits, Éditions Contrechamps, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage].

Depuis fin 2009, NEOS s’attache à présenter l’intégrale des œuvres pour orchestre du créateur de Satyricon [lire notre critique du CD et notre chronique du 26 février 2004]. Joué comme les quatre précédents par Arturo Tamayo à la tête du hr-Sinfonieorchester (Hessischer Rundfunk Sinfonieorchester, fondé en 1929), ce cinquième volume regroupe deux concerti conçus à dix ans de distance, rendus par une prise de son exemplaire.

Amorcé en 1958, le Concerto pour piano et orchestre est créé le 2 septembre 1959 sous les doigts de David Tudor, dans le cadre des Internationale Ferienkurse für Neue Musik de Darmstadt (Cours d’été de musique nouvelle). L’orchestre évoqué plus haut est déjà présent, conduit par Maderna lui-même. Depuis sa première tentative pour le genre – on pense aux deux versions du Concerto pour piano de 1942, écrites sous l’influence de Bartók –, le musicien a renoncé à tout lyrisme ; il exploite désormais la nature percussive de l’instrument soliste, à la manière de Cage (cluster, pizzicato, glissando, etc.). La première moitié de l’œuvre permet au clavier de se fondre avec les percussions, avant que ne dominent les cordes et les vents, dans la seconde. C’est le pianiste Markus Bellheim qui tient ici le rôle de « chahuteur », dans l’héritage de Webern.

Dix ans plus tard, le Concerto pour violon et orchestre voit le jour à Venise, le 12 septembre 1969. Il témoigne du récent travail sur bande magnétique de Maderna, évident par le recours au matériau préexistant – citation partielle d’Amanda, Stele per Diotima (1966), Entropia III (1969) ou même complète de Widmung (pièce de 1967, alors encore inconnue et qui serait créée telle quelle à titre posthume) –, mais aussi par l’usage de techniques aléatoires – « comme une constellation de fragments musicaux autosuffisants et indépendants : c’est au chef de "clore la forme", de déterminer un ordre d’exécution […] » (dixit la notice du CD). Le violon de Thomas Zehetmair voit son flux rhapsodique perturbé sans cesse par l’orchestre, comme une autre façon, pour l’auteur d’Hyperion (1964) [lire notre chronique du 22 février 2007], d’illustrer la lutte de l’artiste avec une société aliénante.

LB