Chroniques

par laurent bergnach

Claude Debussy
Pelléas et Mélisande

2 DVD Bel Air Classiques (2017)
BAC 144
Maxime Pascal joue Pelléas et Mélisande (1902) de Claude Debussy

Imaginé par Benjamin Lazar avant d’être filmé à Malmö (Suède) en mai 2016, ce Pelléas et Mélisande (1902) montre la volonté d’un équilibre entre un onirisme entretenu et des personnages « profondément incarnés, vibrants, tactiles et pourtant mystérieux ». Pour ce faire, la décoratrice Adeline Caron s’inspire du photographe Alessandro Imbriaco et du cinéaste Andreï Tarkovski et dresse une forêt omniprésente où se déchirent les membres d’une famille décadente, nimbés de l’aura proche et déjà fantasmatique des années soixante-dix (costumes d’Alain Blanchot). Nul mur n’empêchant l’osmose entre lieux naturels et domestiques, on peut ne pas adhérer à certaines scènes informes, notamment à l’Acte III où l’absence de tour gênera certains. Pourtant, l’idée d’une sorte de jeu de rôle, autour d’une balançoire où grimpe Mélisande, n’est pas sans poésie ni fondement puisque l’amour peut être évoqué sous couvert de mascarade.

Cette infiltration du prosaïque dans le conte remet en mémoire Pelléas : une trahison sociale au château (in Silences n°4, mai 1987), fort stimulante analyse de l’œuvre. Éclaireur émérite des sensibilités collectives [lire notre critique de l’ouvrage L’influence de la société sur la musique], Michel Faure y distingue l’obstination de déclassement de l’égarée (perte de la couronne, de l’anneau marital), celle à fuir un bourgeois terrifié par ce qui sape les fondements de la société (souterrains du château) pour se rapprocher d’un être sensible aux laissés-pour-compte. En définitive, la rivalité fratricide masque bien « une euphémisation traditionnelle de la guerre civile », la volonté d’occire le « sanglier populaire » poursuivi depuis plus d’un siècle.

Côté chanteuses, Jenny Daviet possède l’impédance et la couleur nécessaires à incarner Mélisande, jeune fille pâle au regard égaré, à l’érotisme discret. Emma Lyrén (Genevieve) livre un alto très profond, au grave riche, dans la peau d’une femme plus chic que l’éternelle douairière grisonnante. Quant à Julie Mathevet (Yniold), on aime sa voix impactée à défaut d’apprécier d’épaisses mimiques caricaturant l’enfance. Côté masculin, l’aisance bien connue de Marc Mauillon (Pelléas) reste le charme principal du baryton aux aigus lumineux. Ample et stable, Laurent Alvaro défend Golaud avec moins de rudesse voire de brutalité que d’ordinaire, le rendant pitoyable comme jamais. Stefano Olcese (Berger, Médecin) et Stephen Bronk (Arkel) complètent la distribution, ce dernier d’un long souffle.

Malheureusement, le sortilège en place est éventé par une fosse navrante. L’orchestre maison (Malmö Operaorkester) n’est pas en cause, onctueux par essence, mais bien le Français Maxime Pascal, à sa tête. Imperméable à l’héritage wagnérien, le chef massacre Debussy comme d’autres assassinent Mozart. Propre tel l’attirail du médecin légiste avant usage, sa lecture ne met à jour rien de vivant et déshonore la forme (dynamique, couleur, relief des timbres, etc.) comme le fond (mystère, danger, etc.). Au final, sans la sonorisation, qui augmenta si souvent son geste d’interprète, le fondateur de l’ensemble Le Balcon est mis à nu sous un jour peu flatteur.

LB