Chroniques

par bertrand bolognesi

Ernst Mielck
Symphonie Op.4 | Pièce de concert pour violon et orchestre Op.8

1 CD Ondine (2003)
ODE 1019-2
Ernst Mielck | Symphonie Op.4 – etc.

Si Sibelius écrivit longtemps et mourut à quelques quatre-vingt onze printemps, si son ami musicologue et compositeur Krohn atteignit deux ans de plus encore, ne croyez surtout pas qu'il suffit d'être musicien finlandais pour vivre vieux ! Bien au contraire, on pourra constater une stupéfiante hécatombe parmi les jeunes compositeurs de la fin du XIXe siècle et au début du suivant, presque tous morts avant d'avoir connu la trentaine, comme Toivo Kuula, Johan Filipp von Schantz, et bien d'autres, le sinistre record restant détenu par Heikki Suolahti, un surdoué qui n'eut guère le temps d'écrire qu'une Sinfonietta et quelques piécettes, succombant à une péritonite en 1936. Juste après lui dans ce macabre classement viendrait le très prometteur Ernst Mielck, né en 1877 à Vyborg dans une famille d'origine allemande assez typique du cosmopolitisme régnant à l'époque dans cette cité, et que la tuberculose fauchera à Locarno deux jours à peine avant son vingt-deuxième anniversaire. Ses parents, nés à Lübeck, s'étaient installés là pour s'adonner avec bonheur au commerce, et il connut très tôt les plaisirs d'après-midi musicaux où papa et ses frères sonnaient les quatuors alors à la mode, pour passer le temps. D'ailleurs, le frère de sa mère, Ernst Fabritius, vivait une carrière de violoniste professionnel. Le petit Ernst put entendre également la plupart des grands solistes de l'époque qui faisaient presque tous escale à Vyborg, alors deuxième grand centre ferroviaire vers Saint-Pétersbourg et Moscou. Avec des études musicales rondement menées dès ses dix ans, un voyage de perfectionnement à Berlin où il donnera très tôt des concerts en tant que pianiste (il fut particulièrement remarqué pour ses exécution des concerti de Mendelssohn et de Grieg) tout en abordant la composition auprès de Max Bruch, le soutient ferme du maître et les premiers succès, l'adolescent est vite considéré comme le futur rival de Sibelius.

En 1897, il met un point final à la Symphonie en fa mineur Op.4 qui, malgré une réputation déjà importante et un vrai succès auprès du public, n'eut pas l'avantage de séduire la critique qui lui reprocha de se borner à redire ce que Bruch, Mendelssohn, Schumann et Brahms avaient dit par ailleurs, sans grande personnalité. Il conviendra de nuancer ces avis, aujourd'hui, et l'enregistrement paru chez Ondine nous y invite. Par exemple, si l'on peut constater un certain conservatisme dans le structure en quatre mouvements, l'œuvre s'ouvre sur un andante très énigmatique et encore peu habituel, si ce n'est dans la musique de Mahler que Mielck ne connaissait vraisemblablement pas (cette année-là, Mahler n'a que trente sept ans, est tout juste promu à la direction de l'opéra de Vienne, et son catalogue comporte des cycles de lieder, le vaste Klagende Lied boudé que personne ne joue, et les trois premières symphonies, qui avaient fait grand bruit mais qui ne firent pas de si tôt l'objet de reprises). Sakari Oramo à la tête de l'Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise étire ses premières mesures dans un grand mystère, avec une sonorité farouche qui résiste longtemps avant de laisser s'épanouir l'Allegro energico qu'il développe dans une même couleur sombre. Bruch aurait-il su écrire un prélude autant dénudé, presque désertique ? C'est surtout Brahms que l'on entend, mort l'année même de l'écriture de cette symphonie, et aussi Wagner, dans le Finale. Mais qui, de cette génération, n'a pas d'abord imité Wagner ? De quel héritage les Strauss, Zemlinsky, Mahler, Saint-Saëns, etc., n'ont-ils pas eu des difficultés certaines à s'affranchir, si ce n'est de celui là ? Quand, en plus, un garçon de vingt ans est capable de si bien posséder l'orchestration !... Il est à gager que Mielck aurait pu assez tôt surprendre ses détracteurs. Il n'est pas inintéressant de souligner que cette page est la toute première symphonie finlandaise, la tentative de Gabriel Ingelius gagnant plus à être tue, et celle de Sibelius devant voir le jour deux ans plus tard.

Quelques mois plus tard, il composait une Pièce de Concert pour piano et orchestre en mi mineur Op.9, puis la Pièce de Concert pour violon et orchestre en ré majeur Op.8 gravée ici par John Storgards, plus souvent entendu chez nous dans ses enregistrements d'œuvres d'auteurs contemporains finlandais ou baltes. Il propose une lecture toute en délicatesse de cette œuvre d'un lyrisme pourtant retenu, qui n'est pas sans rappeler Brahms, là encore, mais aussi Moniuszko. Après une introduction presque tragique, le soliste développe une lumineuse mazurka qui deviendra prétexte à une belle démonstration de virtuosité, comme cela se doit par définition dans l'exercice concertant. On ne sera donc pas surpris de retrouver un peu Paganini, Kreutzer et Tchaïkovski ! Si l'interprétation de Storgards s'avère d'une grande classe, on regrettera une tendance du chef à trop marquer la danse, la rendant souvent lourde, ce qu'on avait d'ailleurs remarqué en mars dernier lors d'un concert qu'il dirigeait à Paris, au Théâtre Mogador [lire notre chronique du 12 mars 2003]. Le violon, quant à lui, affirme une délicieuse élégance.

Ce disque offrira une belle approche de la musique d’Ernst Mielck, mais aussi de celle des compositeurs finlandais qui suivirent. Rappelons que le jeune homme, qui aura à peine le temps de produire un Trio, un Quatuor à cordes, un Quintette avec piano, quelques Lieder, une Ouverture Dramatique, une Macbeth-Ouverture, et qui laissera inachevé son Weinachtslied pour chœur et orchestre, était considéré par Bruch comme sa meilleure recrue, et que Karl Flodin, un grand critique d'alors, allant à l'encontre de l'avis de ses collègues, écrivit à son propos :

« ...c'est un tout jeune talent de dix-neuf ans qui compose brillamment et dont la maîtrise formelle est tout à fait remarquable. C'est précisément le sens de la forme qui fait défaut à nos jeunes musiciens. Tous sont capables d'écrire des rhapsodies, des poésies symphoniques, ou des suites d'orchestre, mais seulement un seul a su relever le défi de s'essayer à l'édifice de la symphonie. Il n'est pas donné à tout le monde de saisir que la pensée musicale la plus haute élève l'art au rang de religion universelle... ».

BB