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Chroniques
Ferenc Liszt
pièces pour piano
La première chose qui frappe l’oreille lorsqu’on écoute la nouvelle gravure de Michel Dalberto est la sonorité propre au grand Bechstein Konzertflügel D-282 (ici accordé par Hervé Catin) qu’il a élu pour servir la musique de Liszt. Dans l’entretien mené par Stéphane Friederich en guise de notice du CD paru sous label La Dolce Volta, l’artiste précise son goût pour la facture Bechstein, déjà mise à contribution dans un précédent album consacré à Fauré. Outre que la Sonate en si mineur fut créée par Hans von Bülow sur un piano de cette maison, ce qui garantit la cohérence certaine d'un tel choix, « la longueur de son, la clarté dans les basses, un mélange de suavité et de projection sonore me plaisent beaucoup », confie-t-il. Sans véritablement apporter sa contribution à la vogue des approches historiquement informées, Dalberto explore ici une palette qui lui semble favorable à l’expressivité lisztienne comme à la sienne.
Cinq pages mènent à la fameuse Sonate, quatre extraites des Études d’exécution transcendante et une première puisée dans le recueil Suisse des Années de pèlerinage. Une relative crudité du récitatif avantage l’installation liminaire du décor de Vallée d’Obermann. Quand s’élève le chant, avec une retenue subtile, la ciselure minutieusement chantournée de l’interprétation surprend positivement. Loin d’en laisser s’envoler le lyrisme jusqu’à quelque débraillé qui ne sied à peine qu’aux tout jeunes gens, cette lecture convainc par la robuste construction de son inspiration. Invitant le souffle particulier du Liszt plus tardif, cette version induit judicieusement une lumière plus spirituelle qu’il n’est d’usage. Aussi la virtuosité semble-t-elle s’effacer, allant de soi, pour laisser parler la musique, par-delà l’emphase intrinsèque à la manière du compositeur.
De même une salutaire simplicité traverse-t-elle ici Paysage, la troisième des Études. La couleur, plus cordée, pourrait-on dire, qu’avec d’autres pianos, pour ne point dire plus harpistique, au fond, est idéale à cette calme peinture contemplative. Un perlé délicatement cinglant, jamais claquant, introduit Mazeppa dont la veine héroïque n’est en rien désavouée. Moins fougueux que de coutume, l’abord ravit pourtant, dessinant d’un stylet farouche le destin qui fait le sujet de la pièce. En un amble méditatif, la richesse harmonique de Ricordanza est somptueusement magnifiée, tandis que Chasse-neige est parfaitement dépouillé de tout labeur, traçant sa route avec une dignité majestueusement phrasée.
Au grand monument d’alors occuper la place. Plus on écoute cette mouture du Lento assai de la Sonate en si mineur, moins perdure le sentiment de sévérité qui d’abord s’imposait. Certes, on pourra dire qu’il n’y a rien de trop, selon l’expression, et cependant, l’austérité ne s’y trouve pas plus, tant la qualité du moelleux caractérise la frappe et l’élan général. Vigueur et muscle, indéniablement, sont au rendez-vous, mais sans crispation, sans petits nerfs, dans une grande respiration qui tisse souverainement son humeur sur une gravité dont la probable nostalgie ne convoque aucun ton péremptoire. Une ombre de rubato se tend au sommet de ce premier mouvement, à la faveur d’une sage pédalisation où il ne se noie pas. La chaleur de l’aigu gagne une intensité inouïe dans les derniers moments, ce qui amène un Andante sostenuto en caresse, tout onctuosité. Entre consolation et rêve d’amour, pour l’esprit et sans la lettre, ce chapitre s’édifie dans un velours tant généreux qu’invasif, sans nuire cependant à la définition de l’impact. L’enfouissement dans les abysses impressionne, aussitôt contredit par l’ardeur de la fugue, Allegro energico à la tonicité puissante. Voici assurément une version très personnelle de la Sonate, celle d’un grand pianiste qui tant et plus joua Liszt. On en redemande !
BB