Chroniques

par michel slama

Fernand de La Tombelle
mélodies

1 CD Aparté (2017)
AP 148
mélodies de Fernand de La Tombelle par Tassis Christoyannis et Jeff Cohen

Le 12 juin 2017, le cinquième Festival du Palazzetto Bru Zane à Paris mettait à l’honneur un compositeur quasiment oublié, Fernand de La Tombelle, dans le cadre d’un concert Belle Époque, où il partageait l’affiche avec son contemporain Gabriel Fauré (Jean-Frédéric Neuburger et le Quatuor Strada nous faisaient découvrir sa Fantaisie pour piano et quintette à cordes et des pièces pour piano seul). De ce compositeur prolifique s’il en est, et personnalité hors du commun – à la fois chef d’orchestre, organiste, professeur de musique, poète, sculpteur, photographe, passionné d’astronomie, de folklore, de gastronomie et d’automobiles, etc. –, on dénombre plus de cinq cents opus [lire notre chronique du 29 octobre 2014].

Le baron Fernand Fouant de La Tombelle naquit à Paris en 1854 et mourut en 1928 dans son château de Fayrac, en Dordogne. Bizet, Saint-Saëns et Liszt (dont sa mère fut l’élève) seront ses principaux modèles et ses inspirateurs. Il participera à la fondation de la Schola Cantorum dont il sera l’un des professeurs émérites d’harmonie et d’orgue. Si la majeure partie de ses œuvres concerne surtout la musique de chambre et différentes pièces d’orgue, La Tombelle écrivit aussi des pages chorales religieuses (cantates, motets, oratorios et messes) ou profanes, une centaine de mélodies et des travaux orchestraux ou pianistiques, ainsi que des musiques de scène, genre très en vogue à l'époque. Appréciant particulièrement le folklore local, il puisera dans bon nombre de vieilles chansons populaires françaises, dont on retrouve quelques pépites dans cet album.

On peut légitimement se demander pourquoi cet artiste fêté en son temps n’a pas survécu à ses productions. Comme Saint Saëns, ce témoin de la Belle Époque a toujours été fidèle à un romantisme classique très traditionnel. Alors que la musique évoluait en France et en Europe, La Tombelle restait sourd aux grandes révolutions du tournant du siècle. Par ailleurs, il n’a jamais composé d’opéras (encore moins de Grand Opéra à la façon de Meyerbeer qu’il admirait énormément), et n’a donc pas un Samson et Dalila à lui, ni même un Timbre d’Argent pour le perpétuer dans le monde lyrique [lire notre chronique du 9 juin 2017].

Vingt-trois mélodies du baron ont été sélectionnées par les interprètes et les spécialistes du Palazzetto qui eurent accès, un peu miraculeusement, aux manuscrits conservés par ses descendants. Elles sont variées, alternant et confrontant le style intimiste du salon et celui de l’art lyrique, plus emphatique, à travers des envolées que le piano sait rendre admirablement, tout comme l’écriture complexe pour le baryton. L’auditeur est plongé dans l’univers de Bizet et celui de Saint-Saëns mais aussi dans celui de Duparc, son contemporain [lire notre critique du CD]. Ces mélodies firent le bonheur des salons mondains, à commencer par celui de l’épouse du compositeur. Elles étaient destinées à des amateurs aussi bien qu'à de grandes voix d’opéra confirmées. Ainsi, il dédia Passez nuages roses à Caroline Salla, Traviata du moment, Veux-tu les chansons de la plaine à Ada Adiny qui interprétait aussi bien Donna Anna, Aida qu’Isolde, Cavalier mongol au baryton Numa Auguez, pour ne citer qu’eux. À côté des mélodies opératiques, des populaires sont proposées, idéalisant la campagne avec une Scène rustique particulièrement pittoresque, Ha ! Les bœufs, et cinq pages transcrites de chansons anciennes (Vieille chanson, Si le roi m’avait donné, La Pernette, Couplets de Chérubin, Ballade) sont de réels emprunts au folklore français – à l’exception de Couplets de Chérubin harmonisé sur l’air traditionnel écossais Marlborough s’en va-t’en guerre, conforme à la volonté de Beaumarchais pour Le mariage de Figaro. La croix de bois et Chant-Prière pour les morts de France, fervente complainte pour les sacrifiés de la Grande Guerre, contrastent avec la légèreté des mélodies populaires.

Le duo formé par Tassis Christoyannis et Jeff Cohen est inégalable.
Les artistes sont en parfaite adéquation et chaque intention du baryton grec est relayée à merveille par le pianiste nord-américain. Le premier s’affirme de jour en jour, album après album, comme le grand baryton de la musique française romantique, aussi bien pour la mélodie que pour la scène lyrique [lire notre critique des CD Dukas, Godard et Saint-Saëns]. Sa voix contrastée, aux mille nuances parfaitement maîtrisées et savamment dosées, est idéale dans ce répertoire. Son français est impeccable et le phrasé percutant, captivant, toujours en osmose avec Jeff Cohen. Un florilège, indispensable hommage à Fernand de La Tombelle – à redécouvrir de toute urgence.

MS