Chroniques

par bertrand bolognesi

Francesco Provenzale
La Stellidaura vendicante | Stellidaura vengeresse

1 coffret 2 CD Deutsche Harmonia Mundi (2013)
88883703852
Francesco Provenzale | La Stellidaura vendicante

Cette nouvelle livraison Deutsche Harmonia Mundi (distribué par Sony Music Entertainement) nous plonge non sans délices deux ans en arrière. Durant l’été tyrolien, nous assistions alors à la résurrection d’un opéra du rare Francesco Provenzale (1624-1704), La Stellidaura vendicante (1674), programmé par le passionnant Innsbrucker Festwochen der alten Musik. Si la mise en scène ne nous avait guère plu, en retrouver les cinq voix et la fosse au disque est un plaisir favorablement débarrassé du superflu [lire notre chronique du 12 août 2012].

Dès la première Sinfonia, fort souplement menée, avec ses rehauts de flûte à bec d’une grâce délicate, on entre dans le monde de Provenzale, dans son esthétique déjà baroque mais encore Renaissance, à situer dans l’héritage du madrigal courtois. Le subtil Alessandro De Marchi en manie savamment la verve tour à tour enjouée et méditative où se mêlent lamenti amorosi et arie di danza, expression d’un sentiment noble et gouaille populaire. L’impact des cordes pincées est ici très présent, mais encore le fléchissement affecté des archets, la caresse des bois ou le signal buffa du tambourin, régulièrement relayé par des introductions de clavecin en joueuses pirouettes. Les musiciens d’Academia Montis Regalis s’ingénient à révéler l’incisive passion d’un ouvrage qui, à cent à l’heure, démontre désir, ruse, jalousie et mise à l’épreuve, disputant l’ardeur à la tendresse jusqu’à l’happy ending.

Captation live, donc, durant les trois représentations données au Tiroler Landstheater d’Innsbruck, ce qui induit peu de marge de manœuvre et aucun retour possible, contrairement au travail en studio. Cependant, les solistes n’ont pas à rougir de ce témoin précieux, par-delà les aléas « normaux » de la scène, compte tenu qu’il s’agit forcément pour tous de prises de rôles. Avec son mezzo bien ancré à la couleur chaleureuse, Jennifer Rivera est une Stellidaura nuancée et d’une sûreté rare, dans la dolcezza introspective comme dans l’émoi furioso. La fragile mélancolie d’A un cor inquieto (Acte II) n’a d’égale que son agilité, sans oublier l’invocation aux étoiles dans le cachot d’une extrême pureté (Stelle fiere, III).

Avec l’homogénéité parfaite qui habite toute sa tessiture, l’évidence de son émission et sa conduite idéale de la ligne vocale, la haute-contre Hagen Matzeit excelle toujours, dans le répertoire « ancien » [lire notre chronique du 21 mai 2011] comme dans celui d’aujourd’hui [lire notre chronique du 8 juillet 2011]. Il met au service du page Armillo son timbre si particulier, à l’instar de la basse Enzo Capuano qui compose un Giampetro irrésistible, valet de farce à l’improbable baragouin.

Enfin, les deux rivaux ne sont pas en reste. L’écriture des rôles permet une caractérisation vocale salutaire au disque. Ainsi du jeune ténor australien Adrian Strooper en Armidoro léger dont la clarté déjà mozartienne séduit aisément, malgré quelques moments d’instabilité qui n’avaient pas frappé notre oreille in loco. Più finezza d’amore est somptueusement commencé dans un falsetto d’une suavité presque intrusive pour descendre en poitrine : l’effet est saisissant. Le rôle d’Orismondo est destiné à un ténor plus lourd, une voix à la couleur volontiers barytonante et à l’impact nettement spinto. C’est assurément de cette façon qu’on pourra définir l’instrument de Carlo Allemano, bien accroché, fiable, et disposant d’un avantageux éventail expressif. Fanno guerra nel moi petto (Acte II) oscille entre colère et pardon, Fantasmi amorosi s’éteint dans une introspection diaphane, enfin Tra pianti e sospiri (Acte III) conjugue du bout des lèvres un grain sombre à une voix mixte dans une déploration infiniment recueillie qui ne laisse pas indifférent.

À découvrir, absolument !

BB