Chroniques

par bertrand bolognesi

Fryderyk Chopin
pièces pour piano

1 CD Ad Vitam (2020)
AV 200815
le pianiste russe Roustem Saïtkoulov signe un fort beau CD Chopin chez Ad Vitam

Nouvelle plongée dans les Ballades de Chopin, cette fois sous les doigts de Roustem Saïtkoulov qui, dès l’Op.23 n°1, affirme une intériorité rare. Après le farouche Largo introductif, à la limite de l’austérité, l’artiste n’hésite pas à inviter le temps et le silence en prémisses du Moderato, chant à la mélancolie subtilement gringottée. On ne cherchera point ici de ces démonstrations superfétatoires : loin des effets de manches, le pianiste russe circonscrit son approche dans une pudeur positivement précieuse qui lâche la bride à un agitato tragique. Rênes repris dans le meno mosso, le surgissement du scherzando ne sonne pas comme quelque triomphe héroïque mais bien plutôt en vaine auto-persuasion de type ça-pourrait-aller-plus-mal-encore, semble-t-il. Et la vélocité désespérée du presto de propulser ses escarbilles dans une nuit sans lune, définitivement funeste dans l’ultime chromatisme octavié fortississimo.

Ainsi de la sicilienne désolée dans l’Andantino préludant à l’Op.38 n°2, dentelle noire comme le glas d’enfantines funérailles. Con fuoco, la révolte presto n’en peut mais, le retour de la cloche s’éclairant ensuite de ces faux espoirs qu’on dénomme inquiétudes, confirmés par le dessin sûr du second presto. La douleur de l’agitato préserve une émouvante humilité de ton que vient dignement conclure le fragment final, nu. L’interprétation met en lumière la confondante unité de l’Op.47 n°3 en vérifiant strictement une élégance de frappe sans pareille, dans une sonorité un brin désuète qui en souligne le charme, à part dans ce cycle. Enfin, un déploiement de nuances et de couleurs est à l’œuvre dans la tonique Ballade en fa mineur Op.52 n°4 où se révèle un ineffable talent de conteur qui jamais ne précise sa narration, sans heurt, vaillante et secrète.

On l’aura compris d’ores et déjà, c’est un Chopin des plus sensibles que livre Roustem Saïtkoulov [lire notre chronique du 24 juin 2005], à travers un jeu qui va de soi, laissant l’écoute libre de tout pianisme musclé. Ces belles qualités sont plus flagrantes encore dans la première des Trois nouvelles études conçues pour le recueil pédagogique de Moscheles et Fétis, dont la fluidité nauséeuse est idéalement servie. Si la suivante séduit par sa mélodie qui papillonne dans un Allegretto clarteux, une finesse plus que convaincante traverse la troisième. Enregistré à la Ferme de Villefavard en Limousin par Jean-Yves Labat de Rossi en décembre 2019, cet album s’achève tout en tendresse avec la Berceuse en ré bémol majeur Op.57 dont la grâce obsessive tournoie dans une saveur ouatée résolument inouïe. On en redemande !

BB