Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel
Semele | Sémélé

1 DVD Opus Arte (2023)
OA 1362 D
Dans la cathédrale d'Aukland, en Nouvelle Zeeland, l'opéra "Semele" d'Händel...

Quoi de plus simple que de monter Semele ? L’ouvrage lyrique d’Händel convoque neuf chanteurs, un chœur et un orchestre, autour d’un argument d’une clarté bénie. Aussi ne s’étonne-t-on donc guère qu’il ait retenu l’attention de plusieurs maisons d’opéra, telles La Monnaie de Bruxelles qui en confiait la production à Zhang Huan lors des festivités du deux cent cinquantième anniversaire de la disparition du caro Sassone [lire notre chronique du 8 septembre 2009], l’Opernhaus de Zurich qui reprenait celle concoctée par Robert Carsen pour le Festival d’Aix-en-Provence [lire notre critique du DVD] ou encore l’Internationale Händel Festspiele de Karlsruhe où nous avions applaudi celle de Floris Visser sans oublier, plus récemment, les mises en scène de Barrie Kosky, vue à Lille, de Claus Guth lors du dernier Münchner Opernfestspiele ni celle qu’Adele Thomas signa l’été passé au Glyndebourne Festival [lire nos chroniques du 25 février 2017, du 11 octobre 2022, enfin des 20 et 23 juillet 2023].

Le patron du New Zealand Opera (exercice à Auckland, Christchurch et Wellington), en poste au Suomen kansallisooppera d’Helsinki depuis cet automne, ne s’en est pourtant pas tenu là. En invitant Semele sous la voûte de l’Holy Trinity Cathedral d’Auckland, ce 29 septembre 2021, le Britannique Thomas De Mallet Burgess, fort d’un mandat ouvert en 2018 et marqué par une évangélisation de lieux inhabituels – porter la bonne parole opératique, en-dehors des théâtres, à de nouveaux publics –, a multiplié les contraintes. Dans une vêture contemporaine, les invités de la noce du fils d’Éole et de la petite-fille d’Aphrodite échangent salutations et compliments sur le parvis de la cathédrale. Sous l’œil avisé que Rebecca Tansley (pour Greenstone TV) transmet à ses caméras comme au montage, les spectateurs gagnent les rangs, quand filles et garçons d’honneur, famille des unes et des autres envahissent l’allée centrale pour assister à la cérémonie. Au chœur de faire son entrée, en aubes rouges et courtes fraises dorées, puis de prendre place dans les hauteurs latérales de l’édifice. Ici, nul temple de Junon : c’est un évêque dûment mitré qui, accompagné par deux assesseur, dispense le sacrement, avec tout le tralala ecclésiastique de rigueur. Derrière l’autel siège l’orchestre, telle une voix céleste et bienveillante. Les signes de dégoût de l’héroïne à l’encontre de son fiancé trouvent bientôt écho dans l’enthousiasme qui l’habite lorsque devant le portail ouvert vrombit la moto de son amoureux, Jupiter en blouson noir ailé, qui l’enlève à la barbe d’Athamas (le marié), de Cadmus (le père de la mariée) mais surtout de Junon, sœur-épouse du dieu des dieux. Et Semele d’alors s’adonner, micro en main, à un numéro de starlette déjantée.

Ce valeureux investissement de la cathédrale se poursuit à l’Acte II où l’autel a cédé place à une couche luxueuse dont le miroitement des soies tient lieu de scène aux ébats de Jupiter et de la mortelle, bacchanales montrées comme savoureusement décadentes. Explorant l’espace à l’aide de lampes torches, durant la calme Sinfonia, Iris et Junon réveillent Somnus, dieu du sommeil profondément affalé, en début d’Acte III. S’il faut avouer en avoir sa claque des sempiternels gags mêlant cocaïne, champagne et I-Pad, désormais au rendez-vous de presque chaque production lyrique, surtout dans le répertoire baroque, l’idée d’une Semele en popstar shootée, entourée d’un cercle de fan’ plus ou moins hippies, et dépassée par la toute-puissance de son succès qui peu à peu la détruit, convainc pleinement. La levée de sa dépouille n’est pas sans émotion. On sourit encore à l’intrusion de vélos-cross dans le sanctuaire, pour la nouvelle noce (Athamas avec Ino), tandis que le chœur final exprime sa liesse irrésistible.

L’expérience est donc probante, surtout si bien défendue par une équipe vocale de belle tenue. Ainsi de la basse Sashe Angelovski qui, malgré une stabilité un rien aléatoire, campe un Prêtre efficace. Ainsi du soprano Chelsea Dolman à qui l’on doit une Iris solide et souple. Le jeune contre-ténor Stephen Diaz n’est pas en reste dans la partie d’Athamas et, si le bas-médium n’est pas toujours assuré, le timbre chaleureux se déploie dans un aigu agile et des agréments d’une finesse certaine. Le baryton-basse Paul Whelan prête à Cadmus puis à Somnus une salutaire clarté que véhicule un phrasé souverain. Aussi bien en Ino qu’en Junon – les deux jalouses, donc ! –, le mezzo Sarah Castle offre même fulgurance à chaque personnage [lire nos chroniques de Dido and Æneas, Adrienne Lecouvreur, Das Rheingold et Die Walküre]. Irrésistible de suavité dans Come to my arms, le Jupiter d’Amitai Pati livre, d’un ténor fluide, un chant facile et glorieux [lire nos chroniques de Roméo et Juliette et de Beatrice di Tenda]. Enfin, le soprano souple et lumineux d’Emma Pearson possède le brio de l’aigu et l’autorité naturelle à composer cette Semele attachante.

Au pupitre du New Zealand Opera Baroque Orchestra, Peter Walls met à l’honneur l’écriture d’Händel, secondé par l’impulsion soignée de Peter Clark, son maître de concert. Encore faut-il saluer les artistes des Holy Trinity Cathedral Choir et New Zealand Opera Chorus, préparés par Andrew Crooks, pour leur prestation impeccable.

BB