Chroniques

par laurent bergnach

Georges Bizet
Carmen

1 DVD France Inter / MF / Opéra de Lille (2011)
597 501-9
Georges Bizet | Carmen

De l’opéra en quatre actes de Georges Bizet, créé sans succès le 3 mars 1875 pour répondre à une commande de l’Opéra Comique (Paris) – qui aurait souhaité « une petite chose facile et gaie, dans le goût de [son] public avec, surtout, une fin heureuse » –, il existe de nombreuses productions de par le monde et, de fait, de plus en plus de captations conservées sur support numérique. Celle-ci nous emporte à Lille dont l’Opéra, en coproduction avec le Théâtre de Caen, présentait l’ouvrage inspiré par Mérimée du 11 mai au 4 juin 2010 – un événement pour la maison soutenue par banques et casino locaux, puisqu’il fut décidé de garder une trace de ces dix représentations.

« Ici, on ne plaisante pas avec la passion. Posséder ou être possédé, telle est la question. Tout est bon pour s’opposer à l’autre, le vaincre, le séduire ou les deux à la fois. À la fleur que Carmen lui jette au visage, José répond, trois heures plus tard, par un coup de couteau. À coup de provocations, de feintes, d’esquives, de tentatives d’apprivoisement, Bizet engage dans ses arènes une guerre des sexes rythmée comme une danse d’Eros, et signe, dans les multiples configurations de ses deux motifs emblématiques, le face à face enragé du flamenco et le rituel chorégraphié de la tauromachie, une œuvre entièrement placée sous le signe du défi. »

Ancien élève à l’École du Théâtre national de Strasbourg, comédien, metteur en scène et auteur, Jean-François Sivadier a bien compris les enjeux du livret signé Meilhac et Halévy. Malheureusement, celui qui montait déjà pour Lille, Nancy et Nantes sa première production lyrique – Madame Butterfly [lire notre chronique du 10 septembre 2004] – ne va pas plus loin que l’explication de texte, ne bousculant le conventionnel que par des systématismes (mains passées sur les cheveux gominés). À part le personnage de Micaëla, prompte à sortir un couteau, et celui d’un Escamillo décorseté, un peu manouche, rien ne surprend ici, excepté le degré de concession au vulgaire (évidemment associé au peuple).

Avec Dessay, Gens et Petibon, Stéphanie d’Oustrac fait partie des Françaises que l’on retrouve régulièrement sur DVD – à défendre le baroque dans sa langue maternelle, que ce soit Médée [lire notre critique du DVD], Les Paladins [lire notre critique du DVD] ou, plus récemment, Armide. Préparée de longue date, sa rencontre avec la Bohémienne est ratée non tant par la qualité du chant – séduisant, bien que parfois contaminé par la lascivité du corps, et soudain maniéré sur l’air des cartes – que par son incarnation. Dépourvue de la latinité d’une Antonacci, faisant un sort à chaque mot parlé, le mezzo ne peut se départir d’un maintien évoquant l’aristo’ décadente.

Face à elle, stable et bien impacté, Gordon Gietz (Don José) combine avec souplesse la précision d’un ténor à l’espace d’un baryton ; dommage qu’il fatigue à la toute fin. Olga Pasichnyk campe une Micaëla agile et nuancé, à la diction soignée. Il revient à Jean-Luc Ballestra d’incarner un Escamillo ferme et puissant, au chant direct, mais – parce que souffrant ? – détonnant après le duel à la navaja. Eduarda Melo (Frasquita) et Sarah Jouffroy (Mercédès) s’en sortent honorablement, tandis que Régis Mengus (Moralès) offre une belle présence. Côté chœurs, celui des enfants vole facilement la vedette à celui des cigarières, faiblard et brouillon.

« Bizet, musicien solaire s’il en est, laisse ici s’épanouir un extraordinaire génie de la mélodie, soutenue par une orchestration magistrale où s’entrelacent les modulations les plus audacieuses » affirme Jean-Claude Casadesus, que l’on retrouve à la tête de l’orchestre qu’il a contribué à faire naître voilà trente-cinq ans. Lui aussi participe au massacre de l’ouvrage en privilégiant le rythme plutôt que la couleur, et des fluctuations de tempo inclinant vers la mollesse et le ralenti. Si c’est le mieux que puisse offrir la municipalité de Lille à ses électeurs, il faut ardemment souhaiter que Mme Aubry ne connaisse jamais un destin national !

LB