Chroniques

par laurent bergnach

Gian Francesco Malipiero – Ottorino Respighi
pièces pour piano

1 CD Evidence (2022)
EVCD 087
Le pianiste Norberto Cordisco Respighi joue Malipiero et Respighi

Dès les premières pages de Musiques dans l’Italie fasciste [lire notre critique de l’ouvrage], Charlotte Ginot-Slacik et Michela Niccolai décrivent le face-à-face de deux générations de compositeurs, au sortir de la Première Guerre mondiale : l’une contemporaine de l’unification du pays (Leoncavallo, Puccini, Mascagni, etc.), s’abreuvant au vérisme littéraire né à la fin du XIXe siècle, et l’autre, connue sous l’appellation Generazione dell’Ottanta (Génération 1880), qui rejette cet héritage récent pour redécouvrir le patrimoine (Monteverdi, Vivaldi) et s’inspirer des avant-gardes européennes (Debussy, Bartók, Stravinsky, etc.). Parmi les piliers du renouveau instrumental italien se comptent Franco Alfano, Ildebrando Pizzetti, Alfredo Casella, Ottorino Respighi et Gian Francesco Malipiero. C’est à ces deux derniers que Norberto Cordisco Respighi consacre son nouvel album, enregistré en octobre 2021 à la Salle Colonne (Paris).

D’Ottorino Respighi (1879-1836), on connaît principalement les œuvres symphoniques – la fameuse trilogie romaine (1916-1929) célébrant une capitale où le musicien s’est installé en 1913, après un détour par Saint-Pétersbourg –, et parfois quelques opéras [lires nos chroniques de La bella addormentata nel bosco (1922), Belfegor (1923) et La campana sommersa (1927)]. Ces pages pour piano donnent accès à l’intimité d’un jeune créateur, notamment Valse caressante et Notturno conçus au début de la vingtaine (1903), qui intégreraient l’éclectique recueil Six pièces pour piano. Charmante et salonarde, la première est interprétée ici dans une légère raideur et un certain manque d’esprit. En revanche, la seconde s’avère miroitante et frémissante à souhait, comme un clair de lune caressant les frondaisons.

Écoutons ensuite Tre preludi su melodie gregoriane, dernier opus pour piano seul (sans doute achevé en 1921), à une époque où le chant grégorien devient pour Respighi un élément important de son langage musical – « l’austérité de ses lignes mélodiques est un moyen de se protéger de certains excès straussiens et postimpressionnistes ainsi que de l’écriture de mélodies empreintes d’un romantisme excessif », affirme Norberto Cordisco Respighi, dans la notice du CD. On gardera en mémoire le contraste entre deux mouvements assez dépouillés (Molto lento, Lento) qui encadrent un cœur très touffu, voire épique (Tempestoso).

Intéressons-nous maintenant à Gian Francesco Malipiero (1882-1973), toujours dans cette période 1900-1920 indiquée en sous-titre de l’album. Entre les chocs que sont la découverte des figures oubliées du baroque (Monteverdi, Frescobaldi) et celui du Sacre du printemps (1913), le Vénitien conçoit les sept parties de Poemetti lunari (1910). Certaines portent le titre d’un tableau de son ami Mario de Maria (1852-1924), peintre connu pour ses paysages nocturnes. Plus intimistes que virtuoses, ces parties abritent des climats variés – Presto au papillonnement de bal masqué néoclassique, cantilène mélancolique de Mestamente, etc. – où dominent quelques accents français : Debussy, bien évidemment, mais aussi Ravel, Dukas et même Satie. Dans nombre d’entre elles se révèle un pianiste plus sculpteur que ciseleur, à la grande générosité de son, doté d’un legato nourri et d’un phrasé inépuisable – qu’on imagine bien défendre Prokofiev.

Terminons avec la cinquième œuvre au programme, Poemi asolani (1916). C’est en plein conflit mondial que Malipiero la compose, dans la petite ville d’Asolo dont il emprunte le nom et où il s’installerait définitivement, au début des années vingt. Souvent austères et audacieuses, ses trois portions finissent de nous convaincre que l’ancien directeur du Conservatorio di Stato Benedetto Marcello ne mérite pas l’oubli des pianistes.

LB