Chroniques

par anne bluet

Giovanni Simone Mayr
Ginevra di Scozia | Geneviève d'Écosse

1 coffret 3 CD Opera Rara (2003)
ORC 23
Giovanni Simone Mayr |Ginevra di Scozia

On ne joue plus guère aujourd'hui l'œuvre de Giovanni Simone Mayr, qui pourtant connu son heure de gloire. Le compositeur, né en Bavière en 1763, avait étudié la musique chez les Jésuites puis à l'Université d'Ingolstadt, avant d'approfondir son art auprès de maîtres italiens à Venise. Après quelques essais de musique sacrée, il écrit l'opéra Saffo qui lui apporte le succès en février 1794 à la Fenice de Venise, et décidera de sa carrière de musicien de théâtre. Suivront, à raison d'un ouvrage par an sur l'illustre scène, par ordre chronologique Temira e Aristo, Lodoiska, Telemaco nell'isola di Calipso, et Lauso e Lidia.

En 1802, à la fin des représentations de sonArgene, il s'établit à Bergame où il est engagé comme maître de chapelle à Santa Maria Maggiore. Après quelques années, il y fonde un Istituo Musicale, se chargeant lui-même de la classe de composition. Ces activités de pédagogue et de chef choral l'éloignèrent de Venise mais non du théâtre, même s'il dut alors composer ses opéras d'une manière plus espacée. De ces années datent Adrianna in Siria, Les due giornate, ou encore L'Amor conjugale utilisant le même livret que le Fidelio de Beethoven. Il compose ensuite quelques pièces vocales, de la musique de chambre, et rien moins que vingt messes. Il s'adonne à l'édition de petits ouvrages d'histoire de la musique, tout en passant de plus en plus de temps à l'enseignement qui le passionne. Ses élèves gardèrent de lui le souvenir d'un homme dévoué au savoir inépuisable et sans cesse renouvelé, ouvert aux changements dont les représentants de la génération nouvelle pouvaient avoir envie. Pendant neuf ans il forma Gaetano Donizetti avec lequel il garda jusqu'à sa mort un rôle de conseiller et d'ami, dans le choix des livrets ou l'orientation de la carrière, par exemple. Si le théâtre a moins d'importance dans la maturité de Mayr, il contribue régulièrement à l'enrichissement du répertoire, chacun de ses opéras remportant un franc succès, souvent encouragé par les jeunes musiciens, les futurs grands belcantistes dont il aura pu marquer l'œuvre en devenir. Ainsi joue-t-on Fedra, Medea, Il ritorno d'Ulisse et d'autres ouvrages, souvent d'inspiration antique, mais pas exclusivement, comme Lanassa, Belle ciarle e tristi fatti, Gli Americani, ou encore La Rosa Bianca e la Rosa Rossa de 1813. Il fera jouer en 1827 une Cantata per la morte di Beethoven pour l'œuvre duquel il nourrissait une sincère admiration.

À l'aube du XIXe siècle, la ville de Trieste commandait à Mayr un nouvel opéra en vue de l'inauguration de son Teatro Nuovo. Le compositeur choisit alors Ginevra, principessa di Scozia d'Antonio Salvi d'après un épisode de l'Orlando furioso de l'Arioste, qui avait auparavant inspiré quelques librettistes et beaucoup de compositeurs, dont Händel lui-même avec son Ariodante de 1735. Nous ne sommes par conséquent pas le moins du monde décontenancés par cette histoire à l'écoute du disque. Pour fêter le bicentenaire de l'Opéra de Trieste, l'on rejoua cette Ginevra di Scozia de Giovanni Mayr, à l'exact anniversaire de sa création, le 21 avril 2001, et c'est l'enregistrement de cette représentation historique qu'Opera Rara a gravé.

Aussi conviendra-t-on de remercier ce label pour une initiative des plus intéressantes, permettant de mesurer l'influence que put avoir Mayr, le symphoniste de l'opéra, comme on le surnomma parfois, sur Donizetti et surtout Rossini qui devait largement puiser un modèle dans la dynamique particulière de ses ouvertures. C'est un élément qui manque à notre écoute pour se donner une idée juste de la continuité et des évolutions de l'histoire d'un genre. Héritière avouée de Haydn, visant à l'élégance de Cimarosa sans parvenir à s'affranchir d'une certaine lourdeur personnelle, admiratrice de Beethoven et de Gluck tout en se laissant volontiers inspirer par Piccinni sans entrer dans la moindre querelle, l'œuvre de Mayr est un passage vers le grand opéra italien du XIXe (surtout vers Rossini), comme on pourra s'en rendre compte grâce à cet enregistrement.

L'Orchestre du Théâtre Lyrique Giuseppe Verdi de Trieste et Tiziano Severini défendent la partition avec énergie, affichant une tendance à la faire sonner plus comme un ouvrage romantique de 1830 qu'un opéra seria de 1801. On en entend d'autant plus la fécondité. Le violoncelle solo possède indéniablement un son des plus soignés ; il est très important ici, puisque le compositeur l'a systématiquement associé au rôle de Ginevra qu'il soutient, ou avec lequel il semble dialoguer parfois. En revanche, le chœur de cette maison est d'une faiblesse affligeante, rarement en mesure, souvent faux, les voix graves, hommes et femmes confondues, déstabilisant par des attaques approximatives le travail des autres registres. La distribution vocale reste assez inégale, et on retiendra avant tout les performances de Daniela Barcellona qui propose un superbe Ariodante aux aigus éclatants, aux graves profonds et nourris, et qui sait admirablement vocaliser, et de Marco Lazzara servant le personnage de Lurcanio d'un timbre très riche et d'une grande force expressive.

AB