Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler
Symphonie en la mineur n°6 « Tragique »

1 SACD LSO Live (2008)
LSO 0661
Gustav Mahler | Symphonie en la mineur n°6 « Tragique »

Face au succès rencontrés par les concerts Mahler dirigés par Valery Gergiev, le London Symphony Orchestra publie peu à peu une intégrale des symphonies sous la baguette russe. Cette nouvelle édition discographique s'ouvre par la Symphonie en la mineur n°6, prise sur le vif en novembre 2007 au Barbican Centre de Londres, et se poursuit par la Première dont nous présenterons l'écoute d'ici peu.

Dès l'abord, l'oreille est saisie par la fermeté qui articule le premier mouvement – Allegro energico, ma non troppo –, qu'on pourra dire acéré, parfois même poignardant. La conduite est à la fois précise et vertigineuse, sans laisser pour compte le lyrisme intrinsèque, ici contrasté par un expressionisme que partagent les toiles de Kokoschka. L'urgence virevolte, grâce à un souci du détail et un souffle savamment entretenu sur l'ensemble auxquels répondent des instrumentistes d'un niveau exceptionnel qui semblent bien ne pas se faire prier. Ainsi perçoit-on très exactement le travail des percussions, l'efficience des cuivres et des bois (notamment dans le choral ici extatique qui succède à la crudité des timbales), la tendresse délicieusement vieux style du solo de violon. Valery Gergiev n'hésite pas à magnifier les sonneries apocalyptiques de l'œuvre, conjuguant la minutieuse délicatesse du suivi à son élan colérique, réalisant une version que l'on suppose déjà passionnément noire, plus encore que celle de Gielen, mais non désespérée.

Mahler hésitera sur la place du Scherzo dans sa Sixième. Certains chefs l'entendent en seconde position (Boulez est de ceux-là). Gergiev fait auparavant sonner l'Andante moderato. Sans exagérations crémeuses tout en s'avérant toujours raffiné, son interprétation se colore d'un chambrisme qui charme sans séduire, dont la triste tendresse paraîtra comme résignée aux fureurs précédentes. Il déploiera l'orchestre dans l'âpreté, profitant du grand équilibre pupitral de l'instrument dont il est le chef principal. Sainement avare d'effets, Gergiev décuple d'autant mieux la véhémente marée bientôt conclue dans une intimité étrangement bucolique.

Profond et large s'affirme ensuite le bât du Scherzo, quoique moins méchamment scandé que l'imposait Kubelik, par exemple. Là encore, un art précieux du détail vient stimuler l'écoute. Le second thème ralentit à peine, renoue avec le caractère chambriste de l'Andante, et mène peu à peu à une lassitude que l'on croit d'abord penaude mais qui enchâsse le sournois rappel du joug initial. Succédant à la grâce toute chorégraphique des échanges de bois sur les pizz', l'innocence reconquise est prudemment formulée par l'ultime solo de violon, réparateur. Supérieurement contrasté, tant en intensité qu'en tactus, le Finale côtoie le chaos. Même vigueur qu'au premier épisode, même diligence, de plus en plus oppressantes, hybridant les moires et les méditations aux incises les plus affûtées.

Voilà une version de la Sixième qui ne ressemble qu'à elle-même : Valery Gergiev s'empare d'un texte difficile qu'il transcende sans en trahir les secrets, renouvelant notre approche du grand œuvre mahlérien.

BB