Chroniques

par laurent bergnach

Igor Stravinsky
Apollon musagète – Symphonies d’instruments à vent – Œdipus Rex

2 CD Acanta (2013)
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Igor Stravinsky | Œdipus Rex – etc.

Enregistrées en studio le 7 octobre 1951, à la veille d’un concert qu’on imagine mémorable, les trois œuvres très différentes au programme de ce double CD Acanta (un ballet avec orchestre à cordes, une œuvre pour instruments à vents et un opéra-oratorio) ont pour point commun d’avoir été dirigées par Igor Stravinsky en personne, à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio de Cologne (Kölner Rundfunk-Sinfonieorchester). Pour le compositeur qui venait d’assister à la création de The Rake’s progress quelques semaines plus tôt, à Venise – avec, conformément à ses souhaits, Elisabeth Schwarzkopf dans le rôle d'Anne Trulove [lire notre critique du DVD] –, c’est l’occasion de prolonger son voyage en Europe, sorte d’intermède à l’exil californien.

Aîné d’une « trilogie grecque » conçue pour la danse [lire notre critique du CD], connu depuis sous le diminutif Apollo, Apollon musagète est un « ballet blanc » commandé par la mécène américaine Elisabeth Sprague Coolidge, puis composé entre juillet 1927 et janvier 1928, dont les deux tableaux reposent sur un effectif instrumental épuré de trente-quatre instruments à cordes (violons par 16, altos par 6, violoncelles par 8 et quatre contrebasses). Pour ce thème antique d’Apollon qui voit le jour et instruit les muses Calliope (poésie), Polymnie (rhétorique) et Terpsichore (danse), le compositeur s’inspire de la tradition française du XVIIe siècle (Lully en tête) et choisit de jouer sur le contraste des volumes plutôt que sur celui des timbres. La première a lieu à Washington, le 27 avril 1928, durant le Festival of Contemporary Music – soit deux mois avant la version parisienne confiée aux Ballets Russes. Avec ses moments pleins de tendresse, voire de moelleux, on est certes loin des martèlements du Sacre ; mais l’œuvre avance avec une certaine droiture cérémonieuse qui sait faire l’école buissonnière à l’occasion.

Conçue à l’origine pour vingt-quatre interprètes, Symphonies d’instruments à vents (À la mémoire de Claude Achille Debussy) est une partition plus ancienne créée à Londres le 10 juin 1921, par Serge Koussevitzky – puis révisée en 1947, comme la précédente. Novatrice et complexe, cette pièce d’une dizaine de minutes doit son titre « pluriel » à l’étymologie (un jeu à plusieurs) et n’a rien à voir avec le genre bien connue. De même, elle n’emprunte rien à la musique du créateur d’Images, mais plutôt aux racines slaves du compositeur, une ultime fois avant la tentation néoclassique. « On y chercherait en vain un élément passionnel ou l’éclat dynamique, précise-t-il. C’est une cérémonie austère qui se déroule en de courtes litanies entre différentes familles homogènes. » L’exécution se révèle d’ailleurs tranchante, pour éradiquer tout risque de sentimentalisme, avant l’assoupissement final.

Terminons avec Œdipus Rex, opéra-oratorio pour lequel le minimum de mouvements est requis, composé d’après un livret de Jean Cocteau ensuite traduit en latin par le prêtre jésuite Jean Daniélou. Ses deux actes et six tableaux sont d’abord présentés en concert le 30 mai 1927, au Théâtre Sarah-Bernhardt (Paris), puis sur la scène de la Wiener Staatsoper, le 23 février 1928 – une option que l’on rencontre de temps à autre depuis, comme au Japon en 1992 [lire notre critique du DVD] ou à Strasbourg, une quinzaine d’années plus tard [lire notre chronique du 23 mars 2007]. Ici, le ténor Peter Pears incarne un rôle-titre un peu fatigué, entouré notamment d’une Martha Mödl soyeuse et glaçante (Jocaste), du vaillant Heinz Rehfuß (Créon) et de l’impérieux Otto von Rohr (Tirésias). Avec fermeté, Werner Hessenland assure la narration en langue allemande.

LB