Chroniques

par bertrand bolognesi

Johann Sebastian Bach
concerti pour clavier BWV 971 – BWV 1044 – BWV 1050

1 CD Sony Classical (2003)
SK 87326
Johann Sebastian Bach | concerti pour clavier

On saluera l'intéressante idée du pianiste Murray Perahia de graver un disque regroupant trois concerti pour clavier de Johann Sebastian Bach assez dissemblables. L'on y redécouvre le Concerto Brandebourgeois en ré majeur BWV 1050 n°5 comme un vrai concerto pour clavier, dans la version révisée de 1721. L'interprétation s'affirme avec élégance, les échanges solistes du premier Allegro s'opérant dans une délicate souplesse. On reconnaît ici le toucher invraisemblablement tendre qui fit la légende de Perahia, jouissant d'une articulation très discrète. Les musiciens de l'Academy of St. Martin in the Fields interviennent avec une douceur rassérénant, sans accentuer outre mesure les attaques ou les entrées, dans une grande qualité d'écoute. L'équilibre est parfait pour l'Affetuoso cependant un peu cérémonieux. La sonorité tout à fait mozartienne qu'y arbore Perahia surprend et suggère que cette musique annonce les Adagio et Andante des concerti futurs du Viennois, sans oublier que l'on pourrait être dans le Largo d'une sonate en forme de suite (à cinq ou six mouvements) de l'ancienne école italienne. Il y a toutefois dans le déroulement de ce passage un je-ne-sais-quoi qui ne prend pas, une sorte d'excès dans l'égalité qui, pour chercher à préserver un développement toujours plane finit par amener une platitude involontaire qui ennuie. De même l'Allegro manque-t-il d'esprit ; c'est léché, contrôlé avec grand soin, mais peu sensible.

La version du Concerto en la mineur BWV 1044 pour flûte, violon et clavier est nettement plus excitante. Les mêmes artistes, avec autant de minutie, parviennent à en souligner à peine le relief dès l'Allegro inquiet qui happe l'écoute avec ses premières mesures d'une régularité un brin nerveuse. Kenneth Sillito propose dans cette page un violon un peu trop effacé. Dans le second mouvement, la flûte de Jaime Martin obtient des alliages très savants avec les aigus du piano toujours dans le coton d'une utilisation finement dosée des pédales, surtout remarquables dans les ornements doublés. Le théorbe contribue à brouiller les pistes, et l'on pense volontiers au travail et aux convictions de Webern sur les timbres. C'est exquisément phrasé, sans maniérisme, dans une respiration merveilleusement sereine qui rend ce mouvement en toute simplicité – une simplicité qui demande énormément de travail, de contradiction, de remise en question, bref : une simplicité venue de la plus chaotique complexité, comme tout interprète de Bach le vit. L'attaque fuguée de la dernière partie reprend à son compte la sonorité finale de l'Adagio pour peu à peu la faire évoluer vers une tension plus tragique qui rappelle assez évidemment l'effervescence particulière des cordes de Vivaldi, ici déplacée au clavier. Cet Alla breve paraîtra presque angoissé, jouissant d'une vitalité contrastée qui ne laissera pas indifférent. La cadence centrale du clavier est réalisée sans blabla, et le dernier accord viendra se poser dans un céder très léger, comme par une volonté de ne pas annoncer la fin. Indéniablement, ce Concerto constitue le plus beau moment de ce disque. Il accomplit ce que le Brandebourgeois ne faisait que promettre.

Enfin, Murray Perahia ferme ce disque par le célèbre Concerto Italien BWV971 pour clavier solo, contemporain de l'œuvre précédemment commentée. Sa proposition est déroutante : il donne un Allegro au temps très mobile, à la sonorité volontiers emphatique qui, certes, contribue à faire de cette page une œuvre pour piano plutôt que clavecin, mais au prix d'une fantaisie qui la dénature quelque peu. En revanche, si l'Andante, qui commence plutôt bien pour devenir de plus en plus romantique, n'en finit plus, le troisième mouvement rompt nettement avec les égarements des deux autres. Pourtant, les ornements improvisés pour marquer la fin ne sont pas d'un goût très sûr.

BB