Chroniques

par bertrand bolognesi

Joseph Haydn
sonates pour piano

1 CD Passavant (2003)
PAS 1006
Joseph Haydn | sonates pour piano

Tempérament, sensibilité, spontanéité, douceur, force sont les termes que Johann Wolfgang von Goethe emploie pour peindre Franz Joseph Haydn compositeur, qui pour lui célébrait dans son art l'Antique et le Moderne. À l'époque, le monde baroque finissant permet l'avènement d'un style préclassique, puis classique. Haydn prend une grande part à cette évolution de la musique qui vit disparaître la basse continue, se simplifier la polyphonie et l'accord harmonique détrôner le contrepoint. Il se détourne des arabesques italianisantes alors en vogue à Vienne et privilégie un art plus dense et une inspiration plus nordique. Les procédés d'une esthétique baroque finissante devaient à jamais rester liés aux années d'enfance : à six ans, Haydn chantait à la Chapelle de la Cathédrale Saint-Étienne de Vienne, étudiait le clavecin, le contrepoint et la fugue, et l'art de la basse n'avait plus de secret pour lui. Il sera un adolescent comme il en est peu, vivant déjà de la musique, violoniste d'orchestre, professeur de clavecin, répétiteur pour les chanteurs. L'âge adulte devait déterminer un tournant vers ce qu'on appellerait le classicisme. Son travail sera alors influencé par les symphonistes de l'école de Mannheim et la découverte des sonates pour clavecin de Carl Emmanuel Bach. Les premières sonates pour clavier de Haydn étaient en fait des sortes de suites, en cinq ou six brefs mouvements. Plus tard, elles réserveront une place particulière au Menuet, pour peu à peu réduire leur développement à trois mouvements, selon le schéma vif-lent-vif qu'on retrouvera de plus en plus. Enfin, grand maître de l'expérimentation, surtout avec ses quatuors, le compositeur connaîtrait certains traits beethoveniens dans son écriture, à la fin de sa vie. Il est frappant de pouvoir constater dans sa facture une correspondance entre les trois âges de la vie et trois périodes de l'histoire de la musique : l'enfant Haydn est un musicien baroque, l'homme est classique, et le vieillard inventera le romantisme.

Le disque paru ce printemps chez Passavant présente trois sonates de la maturité, et une plus tardive. Assez justement, le pianiste Bernard Paul-Reynier souligne dans son interprétation de la Sonate en fa majeur Hob.XVI 23 (1773) une inventivité mélodique toute mozartienne. Il ouvre l'œuvre par la course bondissante d'un Allegro virtuose plein d'humour. Le Larghetto est discrètement articulé, et l'on pourra y apprécier des trilles d'une grande délicatesse, venant à peine contredire – et tout l'art de Haydn est là ! – une berceuse d'une tendresse bienveillante. Le Presto bénéficie d'un jeu fort élégant et plein d'esprit. Bernard Paul-Reynier joue un Gaveau de 1925 extrêmement rare qui a l'avantage d'offrir au musicien les possibilités du piano moderne tout en rappelant la sonorité du pianoforte. C'est une excellente idée d'avoir enregistré ces œuvres sur un instrument dont l'équilibre surprenant constitue un parfait compromis entre une lecture exclusivement historique qui se borne souvent à des limites invérifiables et un choix résolument moderne qui ne saurait rendre compte des couleurs particulières de l'univers pianistique du compositeur en son temps. Et si l'initiative est heureuse, la réalisation l'est aussi, affirmant de vraies qualités de style.

À peine plus ancienne de cinq ans, la Sonate en la bémol majeur Hob.XVI 46 est donnée ici dans une mélancolie que l'on retrouvera plus tard dans les mouvements lents de certaines sonates de Beethoven (qui n'était pas encore né !). Le pianiste égraine délicatement la phrase du l'Andante typiquement haydnien de la Sonate en ut mineur Hob.XVI 20, s'inscrivant dans la mouvance Sturm und Drang. Son interprétation demeure pudique, n'accentuant jamais le caractère lyrique que pourrait prendre ce passage. Si quelques ralentis viennent aérer le développement, ils rappelleront la technique de jeu du clavecin plutôt que d'alourdir le jeu par une expressivité romantique tardive. De même les tourneries du troisième mouvement, sur ce Gaveau, auront-elles quelque parenté avec la musique de Domenico Scarlatti.

Enfin, avec la Sonate en mi bémol majeur Hob.XVI 52, écrite plus de vingt après les précédentes, ce disque fait entendre une autre facette du compositeur : ici, l'Allegro initial réserve des surprises très volontiers souriantes, cédant la place à un Adagio qui semble faire se rejoindre la musique de Mozart et celle de Schubert. Bernard Paul-Reynier joue ce mouvement dans une grande intériorité. Indéniablement, voilà un enregistrement précis qui ne se laisse jamais prendre à la séduction du spectaculaire des mouvements rapides. On y parle avant tout de musique et non de performance sportive.

BB