Chroniques

par bertrand bolognesi

Marco Momi
musique de chambre

1 CD Kairos (2019)
0015056KAI
Trois opus de Marco Momi (né en 1978) joués par Nikel pour le label Kairos

De l’Ombrien Marco Momi (né en 1978), nous entendions récemment l’un des Nudi dans un enregistrement de Christelle Séry [lire notre chronique du CD]. Avec cette nouvelle parution discographique, sous label Kairos, l’auditeur pourra pénétrer plus avant dans la série imaginée par le musicien entre 2006 et 2018. Ainsi le saxophoniste Patrick Stadler nous prend-il par la main – mieux, par le lobe de l’oreille – dans l’enchaînement méditatif de Tre Nuidi, Quattro Nudi, Cinque Nudi et Sei Nudi. À la guitare électrique, Yaron Deutsch, son complice de l’ensemble Nikel qui comptera bientôt près de quinze ans d’existence, rehausse l’errance mélismatique liminaire de déflagrations égaillées, à peine saupoudrées de quelques inserts percussifs, prodigués par Brian Archinal, troisième compère de la formation. Dans ce vaste cycle de trente-sept minutes, le piano fait bientôt son apparition, sous les doigts d’Antoine Françoise.

Via une conception infiniment libre du temps comme de la forme, Momi entreprend ce que j’oserai appeler une déposition sonore, à la fois récit non structuré, traversé d’affects incontrôlables, et accueil d’un corps meurtri. Explorant tour à tour des séquences très brèves, voire des fragments, et de longs surplaces obstinés volontiers saturés, mais encore des tenues intenses et douces, ses Nudi coordonnent timbres et climats, à mi-chemin entre insaisissable aura jazzique, ample respiration feldmanienne, secrète illusion d’une électronique à parfum spectral, jusqu’à l’enveloppement d’une écoute qu’ils déconcertent salutairement.

Cette délicatesse inouïe est bien au rendez-vous d’Almost Nowhere, une œuvre présentée par le sémioticien italien Pierluigi Basso Fossali comme chasse au trésor (notice du CD) et conçue spécialement pour Nikel qui la créa aux Tage für Neue Musik de Zurich, à l’automne 2014. « Ce qui en ressort […] est l'exploration de grottes sonores dans lesquelles s'enchevêtrent les instruments. Ainsi la musique cogne-t-elle des matériaux vides qui contraignent à de brusques sauts en avant ou à des glissades. » À une période de semi-vagabondage succède une juxtaposition de traits hétérogènes, parfois musclés, articulée par une inquiétante et courte tournerie. Six minutes avant la fin se met en branle la transition pulsatile vers un déchaînement fiévreux et presque anhélé, dans une copieuse saturation sonore qui, peut-être écho d’un souvenir romitellien, emprunte à d’autres univers musicaux. Son interruption soudaine, par des inserts hyper-texturés qui s’espacent dans un rythme nébuleux, mène au silence.

En 2008, Marco Momi écrit Lucida pour six percussionnistes (création en janvier 2010 par le Percussion Group Den Haag, à La Haye). C’est pourtant le deuxième volet d’une œuvre qui semble vouloir s’édifier en cycle qui verra d’abord le jour, Lucida II pour saxophone, guitare électrique, percussion et piano, dont la première a lieu à l’automne 2009 – l’année même de sa composition –, par Nikel, à Tel Aviv. De fait, la construction en cycle est une constante chez Momi, à laquelle sacrifie l’opus précédemment commenté, cinquième contribution aux Almost qui en comptent sept à ce jour – Almost Vanishing for E.P. pour flûte (2011), Almost Pure for E.P. pour quatuor à cordes (2011), Almost Quiver for E.P. pour ensemble (2011), Almost Requiem pour voix et ensemble (2013), dédié au compositeur Christophe Bertrand disparu en 2010, Almost Nowhere pour saxophone, guitare électrique, percussion et piano (2014), Almost Nowhen pour ensemble (2014) et Almost Close pour piano avec électronique (2015).

Basso Fossali avance que dans Lucida II « les instruments jouent tous des rôles, personnages de théâtre placés dans une dramaturgie abstraite. L'auditeur se trouve impliqué dans une sorte de compartiment qui, avec des évènements convaincants et innombrables, voyage dans son propre temps historique » (ibid.). Resserrée sur une dizaine de minutes, la pièce affirme un déroulé relativement moins oxygéné qui ouvre peu à peu un faux statisme des plus subtiles (notons qu’en 2012 s’écrivit Ludica III pour flûte, violon, alto, violoncelle, piano, trois groupes d'enfants et électronique).

La présente parution invite à poursuivre plus avant l’abord d’un compositeur fort intéressant dont l’univers se révèle très personnel sans le revendiquer jamais [lire nos chroniques de Vuoi che perduti et d’Iconica].

BB