Chroniques

par laurent bergnach

Michael Jarrell
œuvres pour orchestre

1 SACD BIS (2021)
BIS-2482
L'Orchestre National des Pays de la Loire joue Michael Jarrell (né en 1958)

Pour présenter le travail du compositeur suisse (né en 1958), Philippe Albèra écrit : « la musique de Jarrell ne cesse d’arpenter les régions du rêve et de l’irréalité, à la recherche de son moment de vérité, souvent situé dans les sonorités les plus graves sur les tempos les plus lents, là où le temps, ailleurs agité, s’immobilise. C’est peut-être ce qui confère à sa musique une forme de tendresse inséparable de la beauté sonore, allant jusqu’à un esthétisme raffiné, loin des recherches extrêmes et des formulations autoritaires » (notice du CD). Faisons de ces mots un guide d’écoute pour aborder les trois œuvres pour orchestre, de vingt minutes en moyenne, qui constituent cette monographie.

La plus ancienne, …Le ciel, tout à l’heure encore si limpide, soudain se trouble horriblement… (Genève, 2009) trouve son appellation dans De rerum natura (De la nature des choses), le poème scientifique de Lucrèce qui vise à libérer l’homme du fardeau des superstitions, causes de l’intranquillité de l’âme. La pièce elle-même est née de deux sensations de contraste. La première est liée au quotidien de la vie viennoise (rue bruyante versus calme d’arrière-cour), la seconde à la mort soudaine d’un adolescent, durant une nuit des plus ordinaires. Globalement tempétueux et heurté, ce grand quart d’heure s’apparente à une cérémonie réservant quelques pauses (cœur contemplatif, fin diaphane).

En ce qui concerne Émergences-Résurgences (Strasbourg, 2016), le titre a pour origine le livre éponyme d’Henri Michaux – poète qui avoue peindre pour se déconditionner d’une culture verbale –, où abondent dessins à l’encre et aquarelles. « Courbes, couleurs, clairs-obscurs ou traits appuyés, j'ai essayé d'intégrer une dimension picturale dans le projet de cette pièce et dans sa réalisation », explique Jarrell qui dédit ce concerto pour alto et orchestre à sa créatrice, Tabea Zimmermann, ici présente. D’emblée, les traits secs et nerveux de la soliste rappellent la plume griffant le papier. Cette fièvre créative règnera vingt minutes durant. Face à un orchestre qui, au besoin, peut s’effacer, l’instrument exploite ses possibilités, au service d’une texture drue et d’une grande finesse.

Depuis vingt ans, Michael Jarrell sonde la forme du concerto pour violon et orchestre. Après …prisme/incidences… (Paris, 1998), Paysages avec figures absentes – Nachlese IV (Strasbourg, 2010) et Des nuages et des brouillards (Lausanne, 2017), voici 4 Eindrücke (Tokyo, 2019). L’écriture d’un concerto étant liée à sa connaissance progressive d’un artiste précis, le compositeur voit la pièce comme « une sorte de portrait ». Après Hae-Sun Kang, Isabelle Faust et Ilya Gringolts, c’est au tour de Renaud Capuçon de poser face à la palette. Nous n’en dirons pas plus d’un opus qui nous semble le plus faible des trois réunis, et le moins propre à susciter des émotions, à l’instar d’un croquis trop académique.

En attendant l’arrivée de Sascha Goetzel, en septembre 2022, l’Orchestre National des Pays de la Loire poursuit sa collaboration avec Pascal Rophé (en poste depuis 2013), chef que l’on sait dévoué à la musique de Jarrell [lire notre chronique du 24 septembre 2005]. Baguette et formation sont excellentes sur cette gravure. Ensemble, ils présenteront bientôt Siegfried, nocturne (Genève, 2013), pièce de théâtre musical dont livret et mise en scène sont signés Olivier Py (à Nantes, les 17, 19 et 21 octobre ; à Angers le 9 novembre).

LB