Chroniques

par bertrand bolognesi

Misato Mochizuki
Etheric Blueprint Trilogy

1 CD NEOS (2014)
11403
le mdi ensemble joue Etheric Blueprint Trilogy, signé Misato Mochizuki

En exergue de son Etheric Blueprint Trilogy, Misato Mochizuki cite Sam Francis, le plasticien nord-américain : « la couleur naît de la pénétration mutuelle de la lumière et de l’obscurité ». Sur ce disque, le triptyque regroupant des pièces conçues entre 2002 et 2006 est introduit par l’inflexion captivante, comme divinement respirée, oserai-je dire, du shô. Mayumi Miyata joue deux préludes anciens, empruntés à la musique de cour du Japon du Xe siècle. « La sonorité du shô est considérée comme “la lumière du ciel”, laissant entrevoir l’instrument comme un plan éthérique », précise la compositrice. Banshikicho no choshi dessine « l’hiver, l’eau, le Nord et le noir » en une paisible suspension impalpable, comme à l’angle des paupières de l’oreille.

« Le ciel tout blanc
promet du givre
c’est un moindre mal
si l’on est en compagnie »
Sergio Atzeni, traduit par Lou Di Franco (Éditions Hochroth, 2015)

Pour sûr, plus que de « compagnie », c’est d’une présence essentielle qu’il s’agit, se révélant plus certainement encore au fil des écoutes successives. Sojo no choshi – le printemps, le bois, l’Est et le bleu – ouvre vers la musique de Mochizuki, sans nul doute plus héritière de la culture natale que celle de bien des compositeurs japonais contemporains, tel qu’en témoignait encore tout récemment la création de Quark II [lire notre chronique du 15 décembre 2015]. L’artiste s’interroge sur notre monde, nourrissant volontiers sa quête à la pensée des philosophes et des hommes de sciences. Cette sensible imprégnation de l’hier dans son aujourd’hui avait fasciné lors du ciné-concert Le fil blanc de la cascade à l’occasion duquel nous l’avions rencontrée [lire notre entretien].

Aguerrie à l’écriture instrumentale d’Occident, elle livre en 2002 Wise Water pour neuf musiciens, créé à Cologne le 19 janvier 2003 par George-Elie Octors à la tête de l’ensemble Ictus. Selon le penseur Masaru Emoto, l’eau garde en mémoire les émotions, les énergies, les pensées. Il expérimente son propos en lui parlant avant de la congeler, observant que « la teneur émotionnelle de nos propos se retrouve dans le cristal formé si on la gèle ». Misato Mochizuki introduit cette œuvre par des sons aquatiques, gouttes et bulles, bientôt rejoints par le mdi ensemble, en imitation brève, générant un nouveau tissu minéral, savamment infiltré. La facture est des plus délicates, véhiculant une vivacité discrète mais prégnante qui, progressivement, se densifie. Au terme d’une douzaine de minutes, la pièce regagne l’insaisissable dont elle sourdit.

Bien que la plus ancienne des trois, elle occupe finalement la place médiane d’Etheric Blueprint Trilogy, ouvert par sa cadette 4D, écrite en 2013 et donnée pour la première fois en janvier de l’année suivante, à Paris, par 2e2m sous la battue de Paul Mefano. Celle-ci explore la réalité cachée, l’invisible du « monde tridimensionnel tel que nous le percevons ». D’après David Bohn (physicien), « le présent est une tranche temporelle infinitésimale de l’espace qui se projette à chaque instant sur le réel » (dixit Mochizuki). Elle s’enchaîne ici aux deux pages de tradition gagaku, assez idéalement, avec ses tenues de vents. Même effectif instrumental et durée comparable pour cet opus subtilement organique où se développe un entrelacs de vies indicibles et foisonnantes.

Le cycle est conclu par le dru Etheric Blueprint qui ajoute au groupe instrumental toujours dirigé par Yoichi Sugiyama un travail électronique (Christophe Mazzella). Il « renvoie à l’élément air, le plus subtil des quatre : celui qui opère le passage entre le visible et l’invisible » (même source). La compositrice évoque alors ce qui dépasse l’homme, avec une sorte d’obstination profuse qui porte plus haut encore sa méditation.

Un disque qui génère une écoute inépuisable, croyons-nous.

BB