Chroniques

par laurent bergnach

Nicolas Southon
Les symphonies du Nouveau Monde – La musique aux États-Unis

Fayard / Mirare (2014) 182 pages
ISBN 978-2-213-68100-9
Les symphonies du Nouveau Monde – La musique aux États-Unis

« Bien qu’il n’y ait pas de style dominant dans la musique américaine, il existe, vu de loin (d’Europe par exemple), une école américaine », écrit en 1963 le compositeur Virgil Thompson, lauréat du Prix Pulitzer de musique quelques années plus tôt pour sa partition destinée au film Louisiana Story. En près d’une quarantaine de chapitres, Nicolas Southon – récent collecteur des textes de Poulenc [lire notre critique de l’ouvrage] – va illustrer ce propos et passer en revue les multiples bourgeons d’une musique dont les racines sont largement folkloriques et métissées (hymnes, blues, jazz, negro spirituals, square dances, etc.), comme l’analysait Gérard Herzhaft dans Americana [lire notre critique de l’ouvrage].

Stravinsky a traversé l’Atlantique près de cent fois, à l’instar de la vie musicale du Nouveau Monde qui s’est nourrie d’allers-retours avec le Vieux Continent. Dès le milieu du XVIe siècle, les missions chrétiennes espagnoles importent la musique savante, parvenant un jour à former chœurs et orchestres avec les Amérindiens convertis. D’abord liée à la foi, la musique gagne ensuite le salon et le concert. Avant l’arrivée des exilés célèbres du XXe siècle (Bartók, Britten, Hindemith, Martinů, Schönberg, Weill, etc.), certains Européens participent à la vie musicale locale (Herbst, Peter, Selby, Hewitt, etc.), jusqu’à une autonomie dont on peut dresser la liste des jalons : première société musicale (St. Cecilia Society, 1766), premier opéra écrit par un natif (Leonora, 1845), premier musical (The Black Crook, 1866), premier opéra américain au Met’ (The Pipe of Desire, 1910), première compositrice (Amy Beach), [lire notre critique du CD de ses mélodies], etc.

À la fin du XIXe siècle, la Second New England School voit le jour, avec des créateurs marqués par l’art germanique qui souhaitent se perfectionner en Europe, tandis que leurs cadets du « Nouvel américanisme » voient plutôt l’avenir chez Debussy, Ravel, Stravinsky et dans l’enseignement de Nadia Boulanger, à Paris (Carter, Copland, Diamond, Piston, Rorem, etc.). Ces divergences annoncent les multiples directions empruntées tout au long du XXe siècle, diversement originales : lyrisme (Barber, Menotti, Hanson, Harris, Ward), sérialisme (Babbitt, Finney, Riegger), comédie musicale (Bernstein), cinéma (Herrmann, Steiner), expérimentation (Antheil, Cage, Cowell, Crumb, Ruggles), autodidacte (Creston, Partch), minimalisme (Adams, Glass, Reich), etc.

Au terme d’un panorama complet mais fort concis, qui génère souvent la frustration tout en ayant le mérite d’évoquer ce qu’il ne peut développer – par exemple, le professeur Charles Seeger (1886-1979), théoricien du « contrepoint dissonant » –, Nicolas Southon célèbre l’étonnante jeunesse de musiciens qui « évoluent avec aisance et sans complexe entre traditionalisme et expérimentation, parce qu’il se sentent moins contraints que leurs cousins d’outre-Atlantique par la conscience d’une histoire téléologique, en marche vers un progrès dont la modernité serait le principal horizon ».

LB