Chroniques

par laurent bergnach

Péter Eötvös
œuvres pour orchestre

1 CD Budapest Music Center (2019)
BMC CD 284
Péter Eötvös joue quatre de ses œuvres pour orchestre

Si, durant un quart de siècle, Péter Eötvös a livré nombre d’ouvrages lyriques avec régularité – de Trois sœurs (1998) à Sleepless (2021) [lire notre chronique du 31 mars 2022] –, il n’a pas pour autant négligé la musique instrumentale. C’est ce que nous rappellent les quatre pièces pour orchestre symphonique au programme de ce disque enregistré lors de trois concerts, à Francfort, entre mai 2017 et janvier 2019. Le compositeur dirige lui-même l’Hessischer Rundfunk Sinfonieorchester (Orchestre symphonique de la Radio de Francfort).

La plus ancienne de ces œuvres, Jet stream, est un concerto bien connu puisque depuis sa création londonienne, le 15 février 2003, il fut notamment gravé par son soliste, le trompettiste Markus Stockhausen [lire notre critique du CD]. Dans cette commande du BBC Symphony Orchestra révisée en 2017, Eötvös se souvient du jazz qu’il écoutait sur une radio à ondes courtes dans les années cinquante sous domination soviétique, un monde que les interférences des émetteurs de brouillage rendaient d’autant plus mystérieux et interdit. La trompette du Suédois Håkan Hardenberger est omniprésente dans ces vingt minutes effervescentes.

Commande de l’Euskadiko Orkestra (Orchestre National Basque) pour fêter trois décennies d’existence, The gliding of the eagle in the skies voit le jour à Pampelune (Espagne), le 15 octobre 2012, avant d’être révisé pour une présentation bordelaise, au mois de janvier suivant. La seule connaissance du tamburo basco lui semblant trop mince pour cerner la tradition musicale de ses commanditaires, le compositeur s’intéresse aux chants populaires collectés par Ximun Haram (1928-2013), célèbre joueur de pelote devenu co-fondateur du parti nationaliste Enbata (1963). L’un d’eux le marque particulièrement, qui lui inspire cette image d’un aigle planant haut dans le ciel, l’œil et les ailes grands ouverts, entièrement libre. Dans ces dix minutes de musique, on apprécie le contraste entre certains sons mafflus, confiés aux cuivres et à la percussion – notons la présence du cajón, instrument traditionnel péruvien qui peut facilement évoquer le froissement des plumes –, et ceux plus limpides, que livrent harpe et piccolo. Les plus curieux pourront découvrir sur YouTube les images de cette performance fort séduisante [voir le site].

C’est dans la ville du Mozarteumorchester (Orchestre du Mozarteum), son commanditaire, que se donne pour la première fois Dialog mit Mozart, le 17 décembre 2016 – là encore, l’auteur va revoir sa partition [lire notre chronique du 21 février 2020]. Son point de départ est Da capo (2014), pièce pour cymbalum et ensemble qui développe et transforme des fragments signés Mozart, des idées de thèmes laissés à l’état d’esquisse. Devant le succès remporté, Péter Eötvös adapte l’opus à un orchestre plus important, où l’apparition d’un nouveau fragment s’accompagne d’un signal de cinq crotales. Gracieuse, fraîche et ludique, la proposition nous plaît infiniment, ainsi qu’elle aurait plu, sans doute, au plus célèbre des Salzbourgeois.

Un an et demi avant sa création française [lire notre chronique du 24 octobre 2018], Alle vittime senza nome est présenté à Milan par l’Orchestra Filarmonica della Scala (Orchestre Philharmonique de la Scala), le 8 mai 2017. L’œuvre est dédiée aux réfugiés qui fuient la guerre et la persécution, notamment ceux partis d’Afrique, dérivant pendant des jours en Méditerranée avant de s’abîmer. Sa grande animation, rendue plus nerveuse dans le mouvement central, se teinte ici de mélancolie, là d’amertume, faisant écho à l’angoisse des voyageurs. Quoique propice à un ballet par sa structure rythmique, selon l’idée de son auteur, la plus longue pièce du disque (vingt-quatre minutes) reste avant tout un requiem, âpre et douloureux.

LB