Chroniques

par hervé könig

récital Chœur de Chambre Néerlandais
Debussy – Florentz – Françaix – Jolivet – Messiaen – Ravel

1 CD Globe (2002)
GLO 5215
récital Chœur de Chambre Néerlandais | musique française du XXe siècle

On passera un très bon moment avec ce disque paru il y a quelques semaines déjà chez Globe – label que Codaex distribue en France. En effet, le Chœur de Chambre Néerlandais (Nederlands Kamerkoor) propose un programme riche et passionnant, qui couvre un bon siècle de musique chorale française, dont deux inédits à l'enregistrement (Françaix et Florentz).

On connaît l'intérêt de Debussy pour la voix : un opéra achevé, trois cantates et un grand nombre de chansons pour voix et piano. Si on laisse de côté une ébauche de 1882, les Trois Chansons demeure la seule œuvre pour chœur a cappella. La première (hymne à la bien-aimée) et la troisième (plaintes contre l'affreux hiver) furent écrites en 1898, pour un ami qui dirigeait un chœur amateur. Dix ans plus tard, il les réécrit et y ajoute la deuxième chanson, celle de la jeune fille qui préfère paresser dans son lit que de répondre aux appels de la fête. Les poèmes utilisés sont du comte Charles d'Orléans (XVe siècle). Sous la direction attentive d’EdSpanjaard – un chef que l'on entendit régulièrement dans le répertoire contemporain –, le Chœur de Chambre Néerlandais a gravé une interprétation sensible qui l'emporte haut la main sur les rares versions éditées par des artistes français. C'est une conclusion étrange à laquelle il faudra bien cependant se rendre : ce ne sont pas les Français qui chantent le mieux en français, tout simplement. Saluons la douce volupté de Quant j'ai ouy le tambourin amenée dans une nuance très subtile.

Maurice Ravel, lui aussi, compose une pièce unique pour cette formation sans instrument, sur ses propres textes. Publiée en 1915, Trois Chansons porte la marque de la fantaisie et de l'espièglerie du futur compositeur de L'Enfant et les sortilèges. Nicolette nous présente une lointaine cousine du Petit Chaperon Rouge partie gambader dans les prés et qu'abordent trois séducteurs : un loup « l'œil brillant », un page entreprenant, un vieux seigneur « tors, laid, puant et ventru ». Elle choisira ce dernier, pour les écus qu'il lui offre...Trois beaux oiseaux, messagers du Paradis, viennent apprendre à une jeune fille la mort de son compagnon à la guerre. Elle leur demande d'emporter son cœur refroidit par cette nouvelle. C'est une ballade pleine de tendresse et de nostalgie, qui tranche avec la gaîté mordante des deux autres chansons. Les choristes de ce disque parviennent à un équilibre d'une grande tenue, tandis que le soprano solo Barbara Borden apporte une grande émotion à ces vers, sans pathos, dans une grande désolation. Le répons du ténor est discret, attentionné, déjà réconfortant, tandis que l'intervention du baryton, légèrement étiré, prépare les derniers mots de mort de la jeune amoureuse. À l'écoute, on reste troublé ; le texte est parfaitement intelligible, l'interprétation saisissante d'émotion, si bien qu'on est très content que la galette ne se termine pas par ce poème noir. Dans Ronde, les vieilles du village mettent en garde les jeunes filles contre les monstres masculins du bois d'Ormonde (satyres, centaures, djinns et gobelins...) et inversement les vieux avec les jeunes gars. Avec obéissance – et regret –, la jeunesse s'incline. La ronde des êtres fabuleux reprend, mais pour prendre congé de ces lieux désertés : « les malavisées vieilles / les malavisés vieux / les ont effarouchés / Ah ! » On trouvera ici une certaine bonne humeur...

André Jolivet écrit Épithalame (1953) pour l'Ensemble Vocal Marcel Couraud (également chef de chœur à Radio France), avec l'amour comme thème imposé. Épithalame, « la chambre nuptiale », tire sa matière d'anciens textes sacrés égyptiens, indiens, chinois, etc. pour célébrer l'union de l'homme et de la femme. Rappelons que Jolivet appartient au collectif La Jeune France, engagé à défendre la musique de chambre et à l'enrichir de mysticisme et d'érotisme. Des sons à caractère rythmique et dynamique, dionysiaques, parsèment cet éloge de l'amour aux accents de litanie. Un mystère tout empreint d'exotisme, certes à la portée de la main, pour ainsi dire, dirige la version gravée sur ce disque.

Rappelant par son style Ravel et Poulenc (sans parler d'un goût partagé pour l'ironie), Jean Françaix a toujours refusé la complexité des dogmes avant-gardistes au profit de la clarté, de l'élégance et du raffinement. Les Trois Poëmes mis en musique sont du symboliste Paul Valéry. Aurore est un hommage aux inspirations de l'aube, aux idées que le subconscient offre au réveil au créateur (« Nous étions non éloignées / mais secrètes araignées / dans les ténèbres de toi ! »). Cantique des colonnes est un autre hommage à l'intelligence humaine, devant ces « filles du nombre d'or, fortes des lois du ciel » dressées depuis l'Antiquité. Traitant de nouveau de l'inspiration, Le Sylphe met l'accent sur son côté mystérieux, fragile et éphémère, comme un parfum. Les échanges ici sont équilibrés et proposent une exécution tout à fait charmante d'une page séduisante.

Comme Jolivet en 1936, Olivier Messiaen fut à l'origine de La Jeune France. Il n'y a qu'à rappeler les chants d'amour qui étayent la Turangalîla-Symphonie ou l'amour charnel exalté dans les Cinq Rechants – au point que certains virent en lui un Tartuffe qui ne pense qu'à ça ! – pour ne pas s'en étonner. Dans O sacrum convivium, l'amour évoqué est celui de Dieu, sans doute possible : ce motet de 1937 est sa seule utilisation d'un texte liturgique, le fa dièse y domine, comme chaque fois que Messiaen souhaite exprimer la prééminence et l'incommensurabilité. C'est dans un grand recueillement que le Chœur de Chambre Néerlandais donne ces quelques versets latins, dans un désert proche de la seconde chanson de Ravel, et générant une émotion tout à fait comparable.

Quant à lui, Jean-Louis Florentz s'éloigne des courants de la musique occidentale pour viser à une synthèse intégrale (musique africaine, orientale, etc.). Parvenu à l'étude de l'éthiopien (en fonction de l'histoire de cette langue, Asmarâ signifie : ils ont donnés entière satisfaction ou encore le bois fleuri), il a puisé là matière à son œuvre. Le texte utilisé provient du Livre des Enchantements, écrit au XVe siècle par l'empereur abyssin Zara Yacob. L'auteur y exprime la gratitude de l'homme au jardin d'Eden, réalisant l'œuvre de Dieu – « qu'est donc l'homme pour que tu penses à lui ? ».Le texte du psaume utilisé est répété plusieurs fois, mais avec des mélodies différentes (africaine, grégorienne, etc.), sur une musique monophonique ou polyphonique. Sans que l'interprétation des artistes en présence pour cet enregistrement soit à mettre en cause, cette œuvre pourra paraître assez faible et utiliser jusqu'à plus soif ses ressources pour occuper un bon quart d'heure de verbiage. Indépendamment de cela, ce moment reste du très beau chant choral.

HK